La Rose de Sang
nous rajeunit !
criait Fulvio.
— Cette fois... hoc... je
vous tue... ami !
— Et vous épousez ma veuve !
ricana Fulvio.
Il
se fendit, portant un coup qui érafla le pourpoint de Mortimer. Malgré leur
ivresse, les deux hommes restaient de grands bretteurs. Sous les yeux horrifiés
de Zéphyrine, titubant sur leurs jambes, ils s'échauffaient, esquivaient, à
gauche et à droite, paraient prime, ripostaient par un liment, tournaient
autour des statues, renversaient tables et chaises, multipliaient feintes et
flanconades. Fulvio cherchait l'ouverture. L'alcool ne le rendait pas aussi sûr
de ses mouvements. Mortimer non plus. Les deux duellistes se fendirent en même
temps. D'un seul mouvement, ils s'embrochèrent l'un au bras, l'autre à la
cuisse.
Avec
un cri, Zéphyrine se jeta sur Fulvio qui s'effondrait aux pieds de Mortimer.
Le
duc tenait son bras sanglant.
— Le prochain fois, je
jure... je tuerai vous!
— Désolé, grimaça Fulvio en
se tenant la cuisse... ce sera moi qui vous tuerai... et avec un immense
plaisir! Il fallut les séparer, ils en venaient aux mains.
Rester
dans ces conditions était pour le moins difficile. Après avoir fait sonder la
plaie de son mari par un chirurgien, lequel déclara que la blessure n'était pas
mortelle, Zéphyrine alla trouver Mortimer qui avait le bras en écharpe.
Le
lord anglais était dessoûlé. Penaud, il baissa sa tête blonde sous l'algarade
et reconnut qu'il avait trop parlé.
Zéphyrine
le remercia sèchement de son hospitalité et on déménagea dans une auberge de la
cité. Après huit jours de fièvre, Fulvio se rétablit. Il ne paraissait guère
plus fier que Mortimer de sa bagarre.
Comme
un grand enfant confus, il se laissait soigner par sa femme. D'un commun
accord, les époux ne reparlèrent pas du duel. Seul cet idiot de Gros Léon
croassait :
— Sang dieu ! Spectaculaire
! Sang ! Saigner ! Saignoir !
Zéphyrine,
exaspérée, l'enferma dans une armoire. Elle en avait par-dessus la tête de
l'Angleterre et de ces damnés insulaires avec leur bier et leurs duels...
Fulvio
boitait encore. Sans rien dire à Zéphyrine, il se rendit avec La Douceur et
Paolo dans une taverne à marins le long de la Tamise. Il fit la connaissance
d'un capitaine anglais, lequel avec sa patache [160] appareillait de Portsmouth dans huit jours pour Dieppe. Contre un diamant (le
sac était presque plat), Fulvio obtint d'être pris à bord avec sa petite
famille, les chevaux et les lamas qui avaient l'air de supporter très bien les
brumes du climat britannique.
Quand
le prince annonça la nouvelle à Zéphyrine, de joie elle lui sauta au cou et lui
avoua son état. Un autre enfant ! Fulvio était fou de bonheur.
Ils
se réconcilièrent avec passion la nuit suivante.
A
Portsmouth, Luigi était dans les bras de demoiselle Pluche. Zéphyrine et
Fulvio, sur le pont du vaisseau, regardaient la manœuvre quand un appel
retentit du quai.
— Hao ! Old friends !
C'était
le beau Mortimer de Montrose, fringant et aussi naturel que s'il ne s'était
rien passé. Mortimer monta à bord. Il ne venait pas en tant qu' « ami », mais
comme plénipotentiaire de Henry VIII. « Sa Majesté était navrée de ne pas avoir
revu à Windsor les Farnello. Elle proposait à Son Altesse Sérénissime le prince
Farnello un traité de paix et une charte d'amitié entre l'Angleterre et ses
Etats de Sicile et Lombardie. Le gros Henry cherchait des alliés, indépendants
du roi de France et de Charles Quint, en Italie, fussent-ils petits, comparés à
son gros ventre. »
Le
gros Henry n'avait pas changé. Toujours malin. Le seul des trois matous
gouvernant l'Europe à tirer les marrons du feu.
La
première réaction de Fulvio fut de refuser. Zéphyrine le prit à part. Elle
avait toujours aimé la politique.
— Réfléchissez, mon ami, il ne s'agit pas
d'un traité d'alliance qui nous entraînerait dans une guerre éventuelle, mais
un traité de paix et d'amitié, du latin amicitas : sentiment d'affection ou de sympathie, et pax : rapport entre personnes qui ne sont pas en
querelle... Nous n'avons rien à perdre et tout à gagner à signer avec le gros
Henry...
— Votre raisonnement eût plu
à mon ami Machiavelli, murmura Fulvio. Qu'il est donc agréable d'avoir femme
savante !
Se
moquait-il? Au grand étonnement de Zéphyrine, son époux, prince souverain
d'Etats dont il ne savait même
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