La Rose de Sang
êtres supérieurs en soient frappés.
Zéphyrine reposa sa tasse et se leva.
— Don Ramon, je ne
répéterai à personne, si c'est ce que vous craignez, le mal dont souffre l'empereur.
Je ne l'ai pas considéré comme un
souverain, mais comme un être humain qui avait besoin de l'aide d'un autre être
humain. Entre mes mains, j'ai tenu son destin. Malgré les malheurs qui
m'accablent et que je dois à Charles Quint, je ne regrette pas de ne pas m'être
laissée aller à mes plus bas instincts pour le poignarder, l'empoisonner ou
simplement l'abandonner à son triste sort... Il y a des moments dans la vie où
l'on ne réfléchit pas assez aux conséquences de ses actes. Sur ma vie, sur
l'âme de mon époux, je jure de n'en parler à qui que ce soit. Mais, si mon
époux meurt ou est déjà mort de par la décision de l'empereur, alors je me
sentirai délivrée de mon serment. Maintenant, vous pouvez aussi me faire tuer
ou couper la langue... Si cela peut vous rassurer sur le sort de Charles qui triche, car cela rime avec Autriche... Adieu, Messire, et merci pour le cacao.
Zéphyrine avait
débité son discours avec son impertinence retrouvée. Sans révérence, elle se
dirigea vers la porte.
En trois enjambées,
don Ramon lui coupa la sortie. Zéphyrine ne put s'empêcher d'avoir un sursaut.
Le sombre hidalgo frappa sur un gong. Un hallebardier ensommeillé apparut.
— Il
n'y avait personne aux postes de garde, que s'est-il passé ? interrogea
sévèrement don Ramon.
— C'était
la relève, Señor, fit l'homme, assez piteux.
— Nous
verrons cela plus tard avec Herrera. Un page pour raccompagner la Señora...,
commanda don Ramon.
Puis, se tournant
vers Zéphyrine, il chuchota d'un ton étrange :
— Bonne
nuit, Madame. Vous vous méprenez, vous vous êtes fait ce soir un allié
puissant, et ce n'est peut-être pas celui que vous croyez...
Sur ces mots
énigmatiques, don Ramon remit Zéphyrine à la garde d'un page armé d'un
flambeau. D'un regard lourd, don Ramon suivit la fine silhouette à vertugadin
de la jeune femme qui s'éloignait dans les couloirs sombres de l'Alcazar.
Chapitre XII
MONARCHIE UNIVERSELLE
Lorsque Zéphyrine
eut disparu de sa vue, don Ramon revint vers le boudoir pour passer dans le
cabinet impérial. Avec des gestes paternels, il se pencha sous le bureau. Il
tâta le front maintenant frais de Charles Quint, essuya au coin de ses lèvres
un reste de mousse rosâtre, vérifia son pouls sous la couverture. Rassuré et
certain que l'empereur allait, comme toujours après une crise, dormir tel un
nouveau-né jusqu'au matin, il prit sur la table noire une cassette de fer
martelé. La clef était dans la serrure. Sans hésitation, don Ramon l'ouvrit. La
cassette était remplie de parchemins roulés et fermés par des cachets et rubans
rouges, bleus et jaunes.
Chaque couleur
avait une signification. Don Ramon ne s'intéressa qu'aux rouleaux à cachets de
cire rouge. Sans les ouvrir, il prit connaissance des premiers mots de chaque
parchemin. Il remit ceux qui ne l'intéressaient pas dans la cassette et n'en
garda qu'un entre les mains.
A la lueur
tremblotante des chandelles, il lut le début de la lettre de cachet :
Le prisonnier
Fulvio, Carlo, Massimo, Cornelio, Benvenuto, ancien Prince Farnello, ancien
Seigneur de Selinonte et de Segeste, Comte de Syracuse, Baron d'Hagrigente et
de Hylla, Duc des Deux Siciles, Marquis de Salestra, est destitué de tous ses
titres, terres et pouvoirs. Le prisonnier sera ex...
Ramon ne pouvait
lire plus loin sans briser le cachet. Il posa le parchemin en évidence sur la
table, referma la cassette à clef, retira celle-ci de la serrure et s'assit,
rêveur, dans un fauteuil.
Six heures
sonnaient et le jour était largement levé lorsqu'un capitaine souleva la
portière du cabinet impérial.
Don Ramon avait dû
s'assoupir. Il se redressa et confia à l'officier la cassette de fer contenant
les derniers ordres de Charles Quint à remettre aux ministres de Tolède qui
avaient le double de la clef. L'homme salua et sortit sans avoir aperçu
l'empereur sous le bureau.
Don Ramon s'étira. Il
s'assura que le souverain dormait toujours. Il passa dans le boudoir préparer
un cacao.
Quand Don Ramon
revint dans le cabinet, Charles Quint était assis dans le fauteuil que son
confident venait de quitter. Apparemment remis, l'empereur lisait son livre
préféré : el Caballero determinado [32]
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