La Rose de Sang
l'empereur entre ses genoux.
— Sa
Majesté s'est trouvée mal. Comme il n'y avait personne, j'ai fait ce que j'ai
pu pour le soulager. Maintenant, si vous n'êtes pas content,
débrouillez-vous..., répondit Zéphyrine en faisant le geste de se lever.
— Ne
bougez surtout pas !
Don Ramon
s'agenouillait à côté de la jeune femme. Il la força à ne pas remuer. De ses
doigts, il prit la fiole verte.
— C'est
une question de secondes... Vous lui en avez donné au début de la crise ?
Zéphyrine hocha la
tête.
—Combien lui en
avez-vous administré ? insista don Ramon.
— Quelques
gouttes, puis la valeur d'une cuillère... Ça va? s'inquiéta Zéphyrine.
— Oui,
on peut aller jusqu'à cette dose, au-delà cela le tuerait... Vous êtes sûre de
ne pas l'avoir dépassée ?
— Non,
je ne crois pas !
Le front de
Zéphyrine se mouillait d'une légère transpiration.
Avec les gestes
d'une personne habituée à soigner son maître, don Ramon passait le flacon sous
les narines de Charles. Il se contentait de le lui faire respirer, puis il
humecta son mouchoir du liquide vert et le lui passa sur les paupières, les tempes,
derrière les oreilles et les poignets.
Peu à peu, Charles
parut se détendre. Il glissait d'un état convulsif dans un sommeil profond. La
phase critique semblait passée.
Don Ramon se
releva. II fit signe à Zéphyrine de ne pas bouger. Elle se demandait maintenant
si elle allait passer la nuit avec la tête impériale entre ses genoux.
Apaisé , Charles Quint avait l'air d'un jeune homme inoffensif,
presque un adolescent. Avec une sorte de pitié maternelle, elle le regardait.
Pour un peu, elle l'aurait bercé.
Des cheveux trempés
collaient sur le front de Charles. Zéphyrine les écarta pour les rejeter vers
la nuque. Elle pâlit, incrédule. Dans le cou, juste derrière l'oreille,
l'empereur avait une petite tache rouge, en forme d'étoile de mer ou de
rose!...
Zéphyrine mordit
ses lèvres. Quel était ce mystère ? Charles Quint portait le même signe de
naissance que ses jumeaux Luigi et Corisande : une rose de sang.
Etait-ce une marque
de famille ? Un symbole du destin ? Les familles de Habsbourg, de Lorraine et
les Farnello avaient-elles été alliées par le sang dans les siècles comme elles
l'avaient été avec les Bagatelle?... A moins que cela ne remontât, comme pour
les colliers d'émeraude, jusqu'à leur ancêtre l'empereur Saladin !
Don Ramon revenait
avec une couverture de fourrure et un coussin.
Zéphyrine ne
souffla mot de sa découverte. Don Ramon installa sous le bureau un lit de camp.
Il fit signe à Zéphyrine de faire glisser doucement la tête de Charles sur
l'oreiller. Lui- même tirait son corps sur la couverture. Il en rabattit les
pans autour de la poitrine et des jambes impériales.
Débarrassée de son
fardeau, Zéphyrine se releva un peu titubante. Elle regarda le maître du monde
allongé, tel une momie. Charles Quint dormait d'un sommeil d'enfant. Don Ramon
entraîna Zéphyrine dans le boudoir attenant. Un pot de cuivre chauffait sur un
petit fourneau de faïence.
Don Ramon fit signe
à la jeune femme de s'asseoir. Il prit le pot, versa un liquide marron onctueux
dans une tasse qu'il lui tendit. Avec la méfiance d'une chatte, Zéphyrine
respira cette décoction. L'odeur lui était inconnue. L'ombre d'un sourire
dérida le visage sévère de don Ramon.
— Vous
pouvez boire sans crainte, Madame. Ce cacao, sous forme de fèves que l'on fait
rôtir avant de les piler, a été rapporté l'an passé à Sa Majesté de
Nouvelle-Espagne par ses capitaines. Il s'agit d'un breuvage fort
reconstituant, je pense que vous en avez besoin...
Trois heures
sonnaient au clocher. Voyant don Ramon boire le liquide marron, Zéphyrine se
décida à tremper ses lèvres dans la tasse. Le goût de ce cacao la déconcerta.
Elle le trouva d'abord trop fort, chaud, sucré de miel et d'épices, puis elle
l'absorba peu à peu. Lorsque don Ramon, visiblement amusé, lui en proposa une
deuxième tasse, toute ragaillardie elle l'accepta avec plaisir.
Don Ramon attira un
tabouret et vint s'asseoir en face de Zéphyrine.
— Vous avez surpris
ce soir, Madame, un secret d'Etat. Sa Majesté peut périr du Haut Mal [31] s'il se trouve seul un jour... Ses crises sont terribles et remontent à
l'enfance... Comme vous le savez sans doute, César lui-même en avait. Il semble
que seuls les
Weitere Kostenlose Bücher