La Rose de Sang
Jésus-Christ, le monde pacifié par la monarchie universelle, répéta Charles Quint.
Des larmes
d'émotion montaient aux yeux de don Ramon. « Si seulement les contemporains
pouvaient l'entendre parler ainsi... Le plus grand souverain de la terre,
pieux, intelligent, visionnaire, le roi du monde... »
Charles Quint
trempa sa plume dans l'encrier.
— Tu
as raison, Ramon, pour la señora Farnello je peux en effet agir avec plus
d'humanité et surtout un meilleur sens politique. D'ailleurs, je n'aime pas
toute cette histoire et me méfie de doña Hermina...
Tout en parlant,
Charles Quint écrivait de son écriture en pattes de mouche reconnaissable entre
mille.
Sur le parchemin
sorti de la cassette par don Ramon, Charles barrait l'ordre d'exécution pour
marquer :
Gracié de la peine
de mort, le prisonnier Fulvio Farnello sera envoyé aux galères pour le reste de
ses jours.
Puis, Charles prit
un parchemin vierge. II traça ces mots :
Par Notre ordre et
pour le bien du Royaume, La princesse Zéphyrine Farnello et ses enfants auront
le droit, après serment d'allégeance à Notre Couronne, de recouvrer leurs
domaines, titres et prérogatives en terre de Lombardie.
Moi le Roi [34] .
Charles apposa son sceau,
puis il saisit un autre morceau de papier, d'une taille plus discrète. Aussi
rapidement, il écrivit :
Le porteur du
présent reprendra l'enfant mâle de la garde nourricière de la señora Trinita
Orlando pour le rendre à sa mère naturelle ce jour même de San Juan.
Don Carlos.
Après cette étrange
signature, l'empereur tendit les trois parchemins à don Ramon.
— Tu
remettras celui-ci dans la prochaine cassette de mes ministres, afin que
l'ordre de grâce parte à Tolède. Pour celui-là, va au couvent des clarisses, remets-le entre les mains
de la señora Trinita Orlando...
Charles baissa la
voix :
— ...
Enfin, doña Hermina de San Salvador, que tu connais... Dis-lui bien qu'elle
encourra ma colère si elle n'obéit pas. Je veux, j'ordonne, j'exige... Fais-toi
remettre l'enfant... Rends-le à la princesse Zéphyrine Farnello. Dis-lui bien
que nous avons mis nos sbires à la recherche de son fils. Ajoute que, pour son époux, malgré nos enquêtes, il
ne demeure aucun espoir de le retrouver en vie. En lui remettant ce pli,
n'oublie pas de lui déclarer que, dans notre extrême mansuétude, nous attendons à Tolède son serment
d'allégeance, ensuite nous lui rendrons titres, terres et notre bienveillance.
Don Ramon s'était relevé pour prendre des mains impériales les trois parchemins. Après un salut, il s'éloignait à reculons. Charles Quint le
rappela.
— Fais
venir frère Diego, je veux entendre la messe maintenant. Fais vite, nous
partons, quoi qu'il arrive, à la demie de midi, rappela l'empereur en se
dirigeant vers son oratoire.
Soudain,
il se retourna vers don Ramon.
— E... Elle a... a bien... de la chance!
— Qui cela, Votre Majesté? interrogea don
Ramon avec ét onnement.
— D'ê...
d'être si... b... belle.
Le sombre don Ramon
ne put s'empêcher de remarquer quepour la première fois depuis un
bon moment, Charles bégayait de nouveau.
Ainsi, cette
Zéphyrine Farnello avait attendri celui que tous croyaient l'empereur de marbre. Don Ramon
était sûr queCharles aimait beaucoup plus les femmes charnellement
que d'aucuns pouvaient le penser. Le conseiller était un des rares à savoir
qu'il avait laissé derrière lui en Flandres une fille bâtarde et qu'il en avait
eu une autre avant son mariage en Castille .
Don Ramon en était
fier. Pour lui, un homme, fût-il roi, devait montrer du tempérament.
— Oui,
Votre Majesté, madame Farnello est une des plus belles créatures qu'il m'ait
été donné de voir. Je connais les femmes. Celle-ci, j'en jurerais, regardait
Votre Majesté autrement... que...
Don Ramon
s'embrouillait. Le regard de Charles lui délia la langue.
— Je
veux dire, Sire, que madame Farnello était sensible au charme de Votre Majesté.
— Vi...
vil flatteur! murmura Charles.
Il ne pouvait
cacher son amusement.
Ce n'était plus le
souverain de la monarchie universelle, mais un très jeune homme diverti par des
idées de son âge.
— Je
suggère à Votre Majesté de
rester à Madrid encore un
jour et... une nuit, pour régler les nombreuses affaires courantes et permettre à la princesse
Farnello
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