La Rose de Sang
et lut à voix
haute, sans bégayer, les vers d'Olivier de La Marche :
De la guerre fait a
loer
Pour ung honnourable exercice
Gens darmes bien devez plourer,
Plaindre, gémir et lamenter
Le Duc Charles dont ie macquitte
Et mest confort que ie recite
Que mon maistre ne fut vaincu
Par nul homme qui l'ait valu.
La lecture l'avait
apaisé. Il demeura immobile un instant, puis se redressa avec une vigueur
nouvelle.
— Au
travail !
L'empereur s'assit
derrière son bureau. Il trempa sa plume d'oie dans l'encrier, expédia quelques
affaires courantes et annonça :
— Nous
partons après la messe pour Tolède à la demie de midi... sans revoir les
Français... Laissons-les mariner, ajouta-t-il avec un sourire ambigu.
Ses yeux
s'étirèrent en deux fentes.
— Qu'est
ceci ?
Charles désignait
le parchemin que don Ramon avait sorti de la cassette de fer. Don Ramon
rangeait des dossiers dans un coffre de voyage.
— J'ai
pensé que Votre Majesté aimerait relire son ordre au matin ! répondit le
confident.
— Si
tu m'avais dit autre chose, je te faisais couper la tête, Ramon, murmura
Charles.
Don Ramon vint
s'agenouiller devant son maître. Ce n'était pas un geste servile, mais
l'attitude de tout conseiller ou même ministre devant le roi
d'Espagne et empereur d'Allemagne- Autriche. Ramon de
Calzada savait à quel point l'empereur était réservé, réfléchi,
soucieux de bien agir, mais aussi soupçonneux et craignant que les
conseils qui lui étaient prodigués le fussent par
intérêt.
Parfois, Charles
restait deux à trois heures à se promener en songeant à ce qui avait été fait
et au meilleur remède possible. Aucun prince au monde, don Ramon le savait, ne
déployait une aussi grande ardeur au travail. Ce malade épuisait ses ministres
aux séances du Conseil. Pénétré de la grandeur de sa mission, Charles était
autoritaire et savait frapper fort à l'occasion. Après avoir prié Dieu, il
pouvait aussi, à l'occasion, pratiquer l'assassinat politique, mais n'avait
point de cruauté inutile.
Don Ramon vénérait
ce prince si jeune, en qui il pressentait le plus grand souverain du monde. Il
enrageait que certains contemporains ne vissent en lui, parce qu'il était
mauvais orateur, qu'un être sans élévation ni générosité de sentiments, alors
que lui, don Ramon, connaissait la dignité de Charles, ses immenses qualités et
son étoffe politique de premier ordre.
— La
princesse Farnello peut venir dans notre camp, Sire... Elle serait en Italie,
et même en France, une alliée de taille. A défaut de son époux, Votre Majesté
pourrait lui faire rendre son fils et une partie de ses terres, pour gagner
ainsi sa reconnaissance, proposa don Ramon.
Charles Quint
relisait son parchemin. Sans relever la tête, il murmura :
— Cette
femme t'a troublé, Ramon.
Le confident
répondit par le silence.
Charles Quint releva les paupières pour regarder son favori
:
— Dis
la vérité, Ramon !
— La
princesse m'a ému... Oui, Sire, je l'avoue, admit don Ramon . Parce qu'elle pouvait abandonner Votre
Majesté et qu'elle ne l'a pas fait.
Charles Quint fronça les sourcils.
— Tu
veux dire que je dois lui être reconnaissant de ne pas m'avoir assassiné ?
— Pas
exactement, Sire... Je pense qu'exécuter le prince
Farnello ne
donnerait rien à la grandeur de Votre Majesté, tandis qu'un... demi-pardon...
A cette
proposition, Charles se laissa aller à une de ses rêveries. La voix enrouée, il
murmura :
— Bâtir une Europe chrétienne,
sans superstitions, sans moines paillards, et sans réformes
luthériennes... Résister aux forces des Turcs, recouvrer l'empire de
Constantinople et les Lieux saints de Jérusalem... Ah! Ramon, tu sais ce qui
nous sépare, mon « frère » François et moi. François de France vit aujourd'hui
en pensant à demain. Comme un paysan, il veut agrandir son royaume... Moi, je vis dans l'avant-hier de l'Empire médiéval du grand
Charlemagne... Je rêve d'après-demain... pour mon fils, mon petit-fils, mon
arrière-petit-fils, dans cent ans..., deux cents ans... des Etats unis
d'Europe, rassemblés sous la même couronne, Ramon... Tu entends, dans cinq
cents ans, tout sera ainsi et je veux commencer par mon règne sur cette terre
la monarchie universelle et chrétienne, sans guerres fratricides...
Sous la bannière de Notre-Seigneur
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