La Rose de Sang
pas rare qu'un convoi arrivât à
destination avant celui qui l'avait précédé. Il suffisait que les vents aient
été capricieux ou que l'escale aux Canaries fût plus longue que prévu pour
cause d'avaries. »
C'était
donc le cœur plein d'espoir que Zéphyrine s'était installée avec ses compagnons
sur le Nao Almiranta [66] .
Cortés
avait bien fait les choses. Il avait donné au jeune « señor Gil de Pilar » une
chambre sur le château arrière avec, suprême luxe, un sabord d'aérage.
Au
moment de lever l'ancre, il restait une dernière formalité, des visitadors [67] et un commissaire montèrent à bord pour constater si le navire était bien
capable d'aller aux Indes. Ils devaient aussi vérifier la composition de
l'équipage et l'identité des passagers. Zéphyrine avait eu une peur terrible.
Le regard du commissaire se fixait, soupçonneux, sur son visage imberbe, mais
Cortés, beau parleur, avait entraîné le fonctionnaire zélé examiner les canons.
Zéphyrine savait qu'elle devait encore une fière chandelle au conquistador. Elle n'eut
pas à le remercier. A son grand soulagement, Cortés était invisible, occupé par
les manœuvres et l'organisation du convoi. Les vaisseaux descendaient le Guadal quivir jusqu'à San
Lucar de Barrameda, simple petit port de pêche sur l'embouchure. Pour prendre
la haute mer, il ne restait qu'une opération délicate : franchir la
barre avec la marée.
A
l'ambiance nerveuse qui régnait parmi l'équipage Zéphyrine comprit que l'on
risquait rien de moins que faire naufrage. Les lames déferlaient, hautes,
blanches, moutonnantes. Elles paraissaient une barrière infranchissable. Pedro
de Cadix, le pilote major, était habile. De sa cabine, Zéphyrine eut
l'impression que le galion sautait l'obstacle comme un grand cheval ailé.
Les
autres bâtiments suivirent le même chemin. Il n'y eut que la perte de la Doncella à déplorer. La caravelle, moins chanceuse,
s'était couchée sur le flanc. Zéphyrine espéra que les marins avaient pu s'en
sortir, ce qui n'était pas sûr, car la plupart ne savaient pas nager, et que le Santiago, quinze jours auparavant, n'avait pas subi
le même sort.
Elle
interrogea le contremaître d'équipage, un certain Tortosa, un colosse qui
répondit civilement :
— Non,
Señora, si le Santiago avait coulé corps et biens, on l'aurait su à Séville.
Entouré
de ses vaisseaux protecteurs et des galères royales, le Victoria prit la haute mer.
Rassurée,
Zéphyrine soigna de son mieux demoiselle Pluche qui était mourante et réclamait
du tokay. La jeune femme lui fit boire sa boisson préférée. Gros Léon, c'était
sa faiblesse, fit de même. Laissant dans la chambre le choucas incapable de
voler avec la pauvre duègne incapable de se lever, Zéphyrine alla sur le
deuxième pont humer le vent de l'Océan.
Piccolo
jouait aux dés avec Rodrigo, un carpintore [68] . Le dévouement de l'écuyer italien la touchait énormément. Pourrait-elle jamais
un jour remercier ses gens de tout ce qu'ils auraient fait pour sa cause? «
Demoiselle Pluche, Piccolo, La Douceur... Où était son bon géant ? Avait-il
réussi sa mission ? »
Zéphyrine
entendait les énormes rames des galériens scander l' Océan et son esprit ne cessait de penser à Corisande, qu'elle avait dû quitter, à Luigi
son jumeau, à Fulvio son amour.
— Nous avons dix jours de mer, cap sud-ouest, jusqu'à l'archipel
des Canaries.
Tel
un fauve silencieux, Hernán Cortés s'était approché de Zéphyrine.
— Nous allons faire une escale indispensable à l'île de la Gomera pour y embarquer encore de l'eau, du pain frais, du
vin. Ensuite, ce sera le grand départ.
Sans paraître gêné par
le costume masculin de Zéphyrine, Cortés prit son bras en
le serrant un peu fort.
— Remettez-vous. Tout s'est bien passé. Regretteriez-vous d'être
parti, señor de Pilar ? se moqua Cortés.
Zéphyrine
le regarda droit dans les yeux.
— Non, Señor, je ne pense qu'à l'avenir.
Le
visage hâlé par le soleil, avec ses émeraudes grosses comme des cabochons
pendant aux oreilles, sa barbe noire frisée, Cortés avait l'air d'un forban. Il
ne manquait pas de charme. Quand il riait, il ressemblait à Fulvio...
Zéphyrine
se détourna pour regarder les dauphins qui suivaient le galion.
— Après les Canaries, comment se déroulera le voyage?
interrogea-t-elle.
— C'est vrai que vous êtes une femme
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