La Rose de Sang
savante aimant les
explications. Venez... Mais je ne vous mangerai pas toute crue ! ironisa Cortés
devant le mouvement de recul de Zéphyrine.
Elle
se maudit et prit son air le plus revêche pour entrer dans la cabine de
l'amiral.
Cristobal
et Pedro de Cadix consultaient les cartes maritimes dessinées par le premier.
Les
deux hommes paraissaient très bien s'entendre. A l'aide de l'aiguille d'un
compas, faite d'un fil d'acier aimanté au moyen d'une pierre magnétique, ils
calculaient leur route.
— Señora!
Ils
saluaient Zéphyrine comme une personne de son sexe et non comme un jeune
hidalgo.
Tout
le monde à bord savait qu'une dame de marque, vêtue en homme, s'était
embarquée.
«
Ils me prennent pour la jument du maître ! » se dit-elle avec une pointe
d'agacement.
Rassurée
de n'être point seule avec Cortés, Zéphyrine engagea la conversation avec le
cartographe et le pilote major. Pendant un moment, on ne parla que de la grande
mutation technique de la fin du XIII e siècle permettant de suivre
une route donnée en gardant un angle p r éétabli entre l'aiguille
aimantée et le rhumb.
— La Señora ne sait peut-être pas ce qu'est le rhumb? s'enquit
poliment Pedro de Cadix.
— Je pense qu'il s'agit de l'angle compris entre deux des
trente-deux aires de vent, du compas ! répondit Zéphyrine.
— Que disais-je ! Ce n'est pas une femme, mais un mathématicien
!
Cortés,
amusé, se frottait les mains. Mesure de la hauteur du soleil, division du
temps, hauteur du pôle, phases de la lune usage des instruments de navigation,
astrolabe, quadrant, balles- tille... Zéphyrine, intéressée, écoutait tout.
Elle se rendait compte que la part la plus importante dans l'art de naviguer
demeurait une question de flair personnel du pilote, de sens marin, bref de
talent. Ce qui expliquait l'estime en laquelle Cortés tenait Pedro de Cadix.
— Expliquez à la Señora quelle route nous allons prendre, mon
cher Pedro, dit Cortés.
— Si
tout va bien, Monseigneur, affirma le pilote... la flotte de la «terre ferme [69] »,
en quittant l'île de Gomera, descendra prendre les alizés pour aller, suivant
les vents, soit vers La Guayra [70] et Carthagène des Indes [71] ,
soit vers les îles Sous-le-Vent [72] . Nous ferons escale à Trinidad
ou La Marguerite.
— Il nous faudra réparer les coques de nos navires, nous
réapprovisionner... Nous resterons quinze jours environ..., fit Cortés,
répondant à la question muette de Zéphyrine.
— Enfin,
ici, Señora, nous arriverons à la Castille d'or [73] reliant la Royauté de Nouvelle-Espagne [74] à la Nouvelle-Grenade [75] pour aborder sur l'isthme à Nombre de Dios [76] ...
Zéphyrine
se pencha pour regarder cet endroit bizarre, sorte de cordon ombilical étranglé
entre deux grands monstres encore informes, vingt fois plus gros que
l'orgueilleuse Espagne.
— Nous
traverserons l'isthme à dos de mulet pour gagner la nouvelle ville de Panama...
Alors, Señora, vous verrez, merveille... la mer du Sud [77] ,
promit Cortés.
— Combien de temps mettrons-nous, tout compris ? interrogea
Zéphyrine.
— Sans tempête, attaques de corsaires ni épidémies, fit Cortés
en se signant, de Séville à Nombre de Dios..., quatre-vingt-dix jours.
— Eh bien ! je vous remercie grandement, Señores, de votre amabilité.
Zéphyrine
voulait s'esquiver.
— Je ne vous retiens pas, mes amis.
Devançant
la retraite stratégique de Zéphyrine, Cortés congédiait son
cartographe et son pilote.
Ces
derniers, comprenant à demi-mot, saluèrent la jeune femme et se retirèrent
précipitamment.
— Vous avez beaucoup de chance, Messire, d'avoir pareils
serviteurs ! dit Zéphyrine pour ne pas rester silencieuse.
— La chance se conquiert, Madame, comme une place forte...
Tel
un gros chat, les yeux mi-clos, Hernán Cortés versait du vin de Malaga dans des
hanaps de vermeil.
— Buvons au succès du voyage ! proposa-t-il.
— Avec plaisir...
Zéphyrine
levait son récipient.
— J'émets le souhait que cette traversée soit aussi sereine,
amicale et calme que possible.
— La sérénité n'est pas mon fort, le calme non plus... quant à
l'amitié...
Cortés
éclata de rire.
— Pardieu, Madame, si tel est votre désir, buvons à l'amitié
entre
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