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La Sibylle De La Révolution

La Sibylle De La Révolution

Titel: La Sibylle De La Révolution Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Bouchard
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devant les crimes dont ses
enfants étaient victimes.
    Il emporterait le regard de
chacun d’eux jusqu’au tombeau, cela il le savait.
    Une vague lueur derrière lui
attira son attention. Une aube pâle et froide se levait, venant des terres et
illuminant petit à petit l’estuaire. Il n’y avait plus de bruit sur la barque.
Tous les gardes, même Lamberty, s’étaient endormis, ivres morts. Il ne restait
des victimes qu’un haut tas de vêtements déchirés que les bourreaux
revendraient sans doute à quelque fripier.
    Sénart se pencha par-dessus le
bastingage, contempla l’eau qui commençait à prendre une teinte verdâtre et
vomit longuement.
     

2
            
    — Citoyen Sénart,
réveille-toi !
    Gabriel-Jérôme ouvrit
péniblement les yeux. Il sentait encore les remugles humides de la Loire.
Pourtant, brumaire était loin. On était en l’an II, en prairial, à l’Hôtel de
Brionne. Il avait passé la nuit à rédiger des rapports et avait fini par
s’endormir sur le volumineux cahier qui trônait au milieu du secrétariat.
    Les deux porteurs d’ordres
l’avaient secoué sans ménagement.
    Il grimaça de douleur. Le
fauteuil en bois était inconfortable. Il était encore épuisé et courbatu.
    — Que… qu’est-ce qui se
passe ?
    Les fonctionnaires subalternes
qui étaient venus le chercher ne se distinguaient guère de la lie qu’ils
étaient chargés de poursuivre. Ivrognes, brutaux, ils juraient et éructaient en
parcourant les rues et en pestant contre les ennemis de la Révolution.
    Sénart secoua la tête.
    — Je me suis endormi.
    — Ça on l’a bien vu, citoyen,
rit un dénommé Lepoulet qui s’était fait une spécialité de surveiller les
maisons closes. On est d’abord passé chez toi, mais comme tu n’y étais pas,
c’est Duglas qui a eu l’idée de venir te chercher ici.
    Duglas, aussi grand, maigre et
silencieux que son compagnon était gros et jovial, renifla avec désapprobation.
    Sénart sentit la colère monter.
Pourquoi ces deux coupe-jarrets étaient-ils venus le réveiller ?
    Duglas avait la voix grave et
caverneuse du prêtre qu’il avait paraît-il été autrefois. Il répliqua
sèchement :
    — Le citoyen Vadier te demande.
    Sans doute pour relire les
rapports. Vadier adorait lire les rapports, surtout ceux qui comportaient moult
détails croustillants et compromettants pour ses adversaires politiques.
    — Il est dans la salle du
conseil ? se risqua le secrétaire rédacteur.
    — Non, tu dois le rejoindre rue
des Ménétriers. Et il a donné l’ordre que tu viennes le plus vite possible. Tu
sais ce que ça veut dire dans la bouche du citoyen Vadier.
    Les Ménétriers… Il ne
connaissait même pas la rue. Sans doute dans ces quartiers populeux du centre
de la capitale, à seulement deux pas des palais.
    — Et nous sommes chargés de
t’escorter, rajouta Duglas.
    Gabriel-Jérôme se serait bien
passé d’une telle compagnie, mais on ne discutait pas les ordres de Vadier.
    Il se leva donc avec
difficulté, s’étira et referma le grand livre dans lequel, à la lueur d’une
bougie entièrement consumée, il avait passé une partie de la nuit à relater les
exactions de Carrier à Nantes, rapport qui finirait certainement dans une obscure
salle d’archives poussiéreuse et placée sous bonne garde.
    Il prit le haut bicorne
surmonté des trois plumes teintes aux couleurs révolutionnaires, revêtit le
manteau bleu marine et s’en fut, suivi des deux porteurs d’ordres. Simplement
armés de piques, vêtus de la veste épaisse et du pantalon grossier des
sans-culottes, des pouilleux dont ils ne se distinguaient que par la rosace qui
ornait leurs couvre-chefs déformés, ils ne constituaient pas un aréopage bien
impressionnant, mais le Comité aimait s’entourer de tels hommes, facilement
corruptibles et dénués de tout scrupule.
    Ils sortirent de l’Hôtel de
Brionne et laissèrent derrière eux le long bâtiment des Tuileries qu’on appelait
dorénavant Palais national et la place du Carrousel. Comme il était d’usage, un
gendarme les escorta jusqu’au passage qui menait vers le palais Égalité. C’est
en ayant dûment signé le registre qu’ils purent enfin sortir de l’enceinte.
    Car c’est dans cet espace
réduit, l’ancienne place où les monarques donnaient leurs fêtes dans les palais
qu’ils avaient construits, que se tenait le véritable gouvernement de la France
de l’an II. D’un côté le Comité de salut public qui

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