La Sibylle De La Révolution
connais pas Robespierre,
d’ailleurs, qui le connaît ? Je pourrais te raconter quelques anecdotes
sur lui qui changeraient sans doute ton regard. Je le ferai un jour… si tu es
sage !
— Très intéressant, et
qu’est-elle devenue cette prophétesse-là ?
Marie-Adélaïde avait fini de
nettoyer la plaie, elle reposa le linge teinté du sang de Gabriel-Jérôme.
— Elle a entrepris une tournée
de prédications illustrées par des cures magnétiques. Elle a même eu l’idée de
pousser jusqu’à Rome avec l’intention de convertir le pape, « le Dragon
infernal », à la Révolution. Il l’a fait enfermer au Château Saint-Ange où
elle croupit toujours. Il faut dire que le personnage avait de quoi
surprendre : voulant à tout prix s’enlaidir, elle s’appliquait de la chaux
sur le visage et se gargarisait à « l’eau de fiel de bœuf ».
Il se sentait un peu mieux
maintenant. L’ambiance feutrée et douce de la chambre de Marie-Adélaïde le
rassurait et il y avait aussi son parfum, entêtant, plein de souvenirs déjà.
— Et cette Catherine Théos, qui
est-elle donc ?
— Domestique dans un couvent
avant la Révolution. Elle annonce là qu’elle est l’Eve nouvelle, la
réincarnation de la mère de Dieu. Bien sûr, on l’enferme : à la Bastille
d’abord, puis, reconnue comme folle, à l’hôpital de la Salpêtrière, chez les
aliénés ! Depuis, elle s’est installée rue de la Contrescarpe, là où tu
t’es rendu hier soir…
Il commençait à avoir le
vertige. Jamais il n’aurait imaginé que dans Paris même on prophétisait, on
initiait, on sacrifiait à d’obscures divinités. Le siècle finissant avait,
paraît-il, été celui des Lumières.
— Tu sais, la duchesse de
Bourbon a été une de ses plus fidèles clientes, ajouta la jeune fille comme si elle
lisait dans ses pensées. Avant, c’est Suzanne Labrousse qui avait été sa
protégée ! Tu vois, même les grands de ce monde se laissent prendre dans
les filets des Sibylles !
Il lui caressa le visage.
— Mais aucune n’a ta beauté.
Un sourire lui répondit.
Un voile de jalousie lui
obscurcit le cœur un bref instant. Peut-être, outre son habileté et ses dons
incontestables, tenait-elle son succès dans le monde à son incomparable
joliesse.
Elle dut d’ailleurs comprendre
son changement d’humeur puisqu’elle vint se blottir dans ses bras :
— Aime-moi maintenant.
S’il te plaît. Nous avons tellement peu de temps…
Un instant, il faillit se
lever. Oui, ils avaient peu de temps, non, il n’existait aucune issue à leur
amour. Peut-être finirait-il, comme elle l’avait prédit, à la mort de
Robespierre. Plus vraisemblablement, ils finiraient tous deux sur l’échafaud.
Il ne fallait plus penser à tout cela, fût-ce un bref instant, et plutôt aimer
la Sibylle qui se donnait à lui…
Gabriel-Jérôme avait dormi.
Pendant son sommeil, elle avait noué un pansement autour de son crâne. Il était
seul dans la chambre. Une part de son être était inquiète : où
pouvait-elle être ? S’était-elle enfuie ? Lui était-il arrivé quelque
chose ? Mais l’autre part restait sereine, tranquille. Apaisée. En tout
état de cause, il se sentait mieux. Il décida de s’habiller. Les vêtements
qu’il avait portés la veille étaient en fort mauvais état et dégageaient une
forte odeur de cave. Néanmoins, à part fouiller dans la malle à déguisements de
son hôtesse, il n’en avait pas d’autre. Il décida de les remettre, et d’aller
en acheter de nouveaux dans une boutique de fripier. C’est en voulant faire
cette simple course qu’il découvrit le message.
Il était accroché à
l’extérieur, sur la porte d’entrée du petit appartement. Un couteau avait été
profondément planté dans le bois et il dut l’ôter pour déplier le papier.
Monsieur Sénart. Nous avons
fort apprécié votre attitude lors de votre présentation à la Nouvelle Eve, hier
soir. Votre curiosité même, qui a bien failli se révéler fatale pour vous, nous
a montré que vous ne manquiez, pas d’audace et de résolution, deux qualités
indispensables pour entrer dans notre ordre. Afin de pénétrer plus avant nos
mystères, il vous faut passer l’épreuve de la liste de sang. Vous vous
présenterez, rue des Cornes, au numéro 1. Vous y tuerez, le maître des lieux.
Il n’y avait rien d’autre. Il
resta un long moment à lire et à relire le billet. Assassiner un homme ?
Ainsi
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