La Sibylle De La Révolution
effectués ?
— Non ! Je ne m’en
souviens pas plus que toi. En revanche, ce sont mes pouvoirs, enfin, c’est
difficile à expliquer mais je pense que j’y arriverai. Il suffira que je me
laisse guider par mon intuition.
Il haussa les épaules :
— Nous n’avons rien à perdre à
tenter cela, de toute manière, je ne pense pas que nous risquions quoi que ce
soit dans les rues de Paris ce soir, la fête est partout. Dans le meilleur des
cas, nous pourrons prévenir un assassinat.
Il l’aida à se relever. Les
pavés des rues la faisaient trébucher. La vision l’avait affaiblie. Ses lèvres
devenaient presque bleues au fur et à mesure que la nuit tombait. Il lui posa
sa veste sur les épaules ce dont elle le remercia d’un petit signe de la tête.
Enfin, ils parvinrent dans le quartier du Louvre. Les promeneurs étaient nombreux.
Personne ne faisait attention à eux. On répétait les couplets de Chénier
chantés au champ de la Réunion. On injuriait les rois, les aristocrates, le
clergé, les fédéralistes, les vendéens. Mais surtout, on buvait sec !
— Tu te sens bien ?
Ils étaient exactement là où,
quelques jours plus tôt, Gabriel-Jérôme avait senti la pointe du couteau entre
ses omoplates.
Elle approuva de la tête.
Il lui jeta un coup d’œil
inquiet :
— Tu es sûre que ça va
aller ? Nous ne sommes pas obligés de le faire ce soir, tu sais.
— Si, c’est très important. Je
t’en prie, bande-moi les yeux.
Il prit le foulard qu’il
portait autour du cou et, passant derrière elle, l’aveugla.
Le noir. Marie-Adélaïde
n’aimait pas le noir car c’est de là que venaient toutes ses visions. Il lui suffisait
de fermer les yeux quelques instants pour que des figures grotesques, des événements
qui ne s’étaient pas encore produits ou d’autres qui remontaient à un passé
lointain jaillissent de l’obscurité. Parfois c’étaient des visions heureuses
d’enfance ou d’amour mais, le plus souvent, comme de véritables gifles,
apparaissaient des visions d’horreur, crimes, adultères, infanticides, viols, incestes…
Et, depuis que la Révolution avait décidé de raccourcir tous ses opposants, les
affreux présages ne cessaient de la tourmenter au point qu’elle avait fini par
s’y habituer. Et il y avait d’autres rêves plus mystérieux, plus lointains,
comme celui de ce nouveau monarque qui ferait de la France, au prix de guerres
insensées, la plus puissante nation du monde. Tout avait changé avec l’arrivée
de Gabriel. Elle l’aimait, elle le savait depuis le premier jour, le premier
instant où elle l’avait rencontré.
« Certainement même
avant », réfléchit-elle.
En fait, elle l’aimait depuis
toujours. Et les images qui tournaient autour de lui étaient imprécises et
floues. Ce dont elle était sûre c’est que leur amour durerait peu.
— Alors ?
Elle était restée plusieurs
minutes debout, envahie par ses pensées. Le jeune homme s’impatientait.
« Il fait des progrès,
s’amusa-t-elle. Au début, il n’aurait jamais entrepris une telle expérience. Il
ne m’aurait jamais crue. »
Elle fit quelques pas et
hésita. Ce n’était plus Marie-Adélaïde en ce 20 prairial qui marchait. Elle
était redevenue celle qu’elle était quelques jours plus tôt, alors qu’ils
avaient été interceptés par les frères de la lumière. Un pas, puis un autre.
Là, ils tournaient. Il lui semblait sentir les pas du frère derrière elle. Elle
fit un tour, puis un autre. Elle s’élança dans de nombreux détour, changeant
sans cesse de direction.
— Tu es sûre que…
Gabriel-Jérôme paraissait
surpris.
— Chut…, lui répondit-elle.
Elle ne devait pas perdre cette
vision. Ils continuèrent ainsi de longues minutes. Ils descendirent à nouveau.
Lentement puis petit à petit plus rudement. L’atmosphère avait changé. Désormais,
une odeur de cave s’élevait autour d’eux.
— C’est stupéfiant,
entendit-elle. Jamais personne n’aurait pu deviner !
— Nous devrions atteindre les
escaliers maintenant.
— Nous allons les
descendre ?
Son compagnon hésita.
— Si tu veux. Attends, nous
allons arriver aux marches. Je vais rester derrière. Ne descends que lorsque je
te le dirai.
Immédiatement, elle eut
peur :
— Tu vas me laisser descendre
toute seule ?
Il y avait de l’amusement dans
sa voix :
— Tu ne crains rien. Fais-moi
confiance. Allons, un pas. Un deuxième. Voilà.
Elle obéit mais fut prise
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