La Sibylle De La Révolution
discorde
et la fausse simplicité vêtus des haillons dont se paraient les esclaves de la
royauté. Sur le front de toutes ces figures, on lisait les mots : Seul
espoir de l’étranger.
Robespierre parla, mais la
foule interrompit à peine ses applaudissements, si bien que personne, à part
peut-être les députés et les personnes placées dans les tout premiers rangs, ne
l’entendit. Qu’importe, il déclama fièrement des paroles perdues, invoqua
manifestement le ciel, la nature. On acclama à tout rompre lorsqu’il s’empara
d’un flambeau. D’un geste mesuré, il mit le feu au groupe qui s’embrasa
instantanément en de grandes gerbes de flammes et un monstrueux panache de fumée.
Des cris s’élevèrent. Un attentat, ici, dans ce lieu rendu quasi sacré par la
force de la Révolution ? Mais non, la peur s’apaisa vite. À la place du
groupe grimaçant s’élevait une seule et magnifique statue, une femme au front
serein. Après avoir chassé les ennemis du peuple avec le glaive de la Loi, elle
contemplait la foule avec bonté. C’est une marée de vivats qui grandit, et
qu’importe si la fumée de l’incendie avait un peu roussi la statue. Seuls les
contre-révolutionnaires à l’âme noire souriraient.
Robespierre parla de nouveau au
peuple, soit qu’il fut encouragé par le triomphe de cet effet pyrotechnique,
soit que l’enthousiasme de la foule levée depuis plus de cinq heures commença à
s’essouffler, on l’entendit vaguement :
« Peuple, rends hommage à
l’auteur de la nature ; respecte ses décrets immuables. Périsse
l’audacieux qui oserait y porter atteinte ! Peuple généreux et brave, juge
de ta grandeur par les moyens que l’on emploie pour t’égarer. Tes hypocrites
ennemis connaissent ton attachement sincère aux lois de la raison, et c’est par
là qu’ils voudraient te perdre ; mais tu ne seras plus dupe de leur imposture.
Tu briseras toi-même la nouvelle idole que ces nouveaux druides voulaient
relever par la violence. »
La musique éclata. Le tambour
se fit entendre, la trompette chanta le rappel. La première partie de la fête
s’achevait, il fallait partir.
On allait maintenant au champ
de la Réunion qu’on appelait autrefois le Champ-de-Mars. Un cortège
parfaitement ordonné quitta le Jardin national.
Rien de plus beau, de plus magnifique,
de plus martial et pacifique à la fois que ce défilé-là. Marchait en tête un
détachement de cavalerie avec ses trompettes. Les chevaux battaient le pavé en
hennissant et le martèlement de leurs sabots faisait trembler les rues de
Paris. Suivaient les corps de sapeurs et de pompiers de la capitale, puis les
canonniers qui avaient ponctué la fête de grondements sourds, comme sortis de
la bouche d’un géant en colère. Cent tambours et élèves de l’Institut national
fermaient la marche de cette première partie du cortège et rythmaient le pas de
tous en un vacarme assourdissant.
Puis ce furent les
sections : les vingt-quatre premières d’abord, par ordre alphabétique, les
hommes à droite, les femmes à gauche et au milieu, les jeunes gens armés. Un
corps de musique destiné à l’armée du Nord marchait avec eux.
Les groupes de vieillards, de
mères de famille, d’enfants, de jeunes filles et d’adolescents équipés de
sabres, tirés au sort par les commissaires de sections les suivaient. Ensuite,
un nouveau corps de musique jouait des airs patriotiques.
Partout, sur le chemin, le long
des façades richement décorées de drapeaux tricolores, de guirlandes de
feuillages ou de fleurs, ceux qui n’avaient pas pu se déplacer jusqu’au Palais
national acclamaient le cortège et leurs applaudissements redoublèrent lorsque
s’avança le groupe compact des députés, entourés d’un ruban tricolore. Au
centre de la représentation nationale marchait un char sur lequel brillait un
trophée composé des instruments des arts et métiers et des productions du
territoire français.
Un nouveau groupe de cent
tambours ponctuait la marche, suivi par les dernières sections. Au milieu,
David, habile organisateur de ces festivités, avait cru bon de disposer le char
des enfants aveugles, tableau émouvant qui arrachait les larmes aux mères de
famille. Un corps de cavalerie fermait cet immense cortège qui s’étirait à
travers toute la capitale. On passa le pont de la Révolution, puis, par les
bords de l’eau, on rejoignit les Invalides, on prit l’avenue de l’École-Militaire
pour
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