La Sorcière
langues. En 1100, les offices lui deviennent inintelligibles. Des Mystères que l'on joue aux portes des églises, ce qu'il retient le mieux, c'est le côté comique, le bœuf et l'âne, etc. Il en fait des noëls, mais de plus en plus dérisoires (vraie littérature sabbatique).
Croira-t-on que les grandes et terribles révoltes du douzième siècle furent sans influence sur ces mystères et cette vie nocturne du loup , de l' advolé , de ce gibier sauvage , comme l'appellent les cruels barons. Ces révoltes purent fort bien commencer souvent dans les fêtes de nuit. Les grandes communions de révolte entre serfs (buvant le sang les uns des autres, ou mangeant la terre pour hostie 43. ) purent se célébrer au sabbat. La Marseillaise de ce temps, chantée la nuit plus que le jour, est peut-être un chant sabbatique :
Nous sommes hommes comme ils sont !
Tout aussi grand cœur nous avons !
Tout autant souffrir nous pouvons !
Mais la pierre du tombeau retombe en 1200. Le pape assis dessus, le roi assis dessus, d'une pesanteur énorme, ont scellé l'homme. A-t-il alors sa vie nocturne ? D'autant plus. Les vieilles danses païennes durent être alors plus furieuses. Nos nègres des Antilles, après un jour horrible de chaleur, de fatigue, allaient bien danser à six lieues de là. Ainsi le serf. Mais aux danses durent se mêler des gaietés de vengeance, des farces satiriques, des moqueries et des caricatures du seigneur et du prêtre. Toute une littérature de nuit, qui ne sut pas un mot de celle du jour, peu même des fabliaux bourgeois.
Voilà le sens des sabbats avant 1300. Pour qu'ils prissent la forme étonnante d'une guerre déclarée au Dieu de ce temps-là, il faut bien plus encore, il faut deux choses : non-seulement qu'on descende au fond du désespoir, mais que tout respect soit perdu .
Cela n'arrive qu'au quatorzième siècle, sous la papauté d'Avignon et pendant le Grand Schisme, quand l'Église à deux têtes ne parait plus l'Église, quand toute la noblesse et le roi, honteusement prisonniers des Anglais, exterminent le peuple pour lui extorquer leur rançon. Les sabbats ont alors la forme grandiose et terrible de la Messe noire , de l'office à l'envers, où Jésus est défié, prié de foudroyer, s'il peut. Ce drame diabolique eût été impossible encore au treizième siècle, où il eût fait horreur. Et, plus tard, au quinzième, où tout était usé et jusqu'à la douleur, un tel jet n'aurait pas jailli. On n'aurait pas osé cette création monstrueuse. Elle appartient au siècle de Dante.
Cela, je crois, se fit d'un jet ; ce fut l'explosion d'une furie de génie, qui monta l'impiété à la hauteur des colères populaires. Pour comprendre ce qu'elles étaient, ces colères, il faut se rappeler que ce peuple, élevé par le clergé lui-même dans la croyance et la foi du miracle, bien loin d'imaginer la fixité des lois de Dieu, avait attendu, espéré un miracle pendant des siècles, et jamais il n'était venu. Il l'appelait en vain, au jour désespéré de sa nécessité suprême. Le ciel dès lors lui parut comme l'allié de ses bourreaux féroces, et lui-même féroce bourreau.
De là la Messe noire et la Jacquerie .
Dans ce cadre élastique de la Messe noire purent se placer ensuite mille variantes de détail ; mais il est fortement construit, et, je crois, fait d'une pièce.
J'ai réussi à retrouver ce drame en 1857 ( Hist. de France ). Je l'ai recomposé, en ses quatre actes, chose peu difficile. Seulement, à cette époque, je lui ni trop laissé les ornements grotesques que le sabbat reçut aux temps modernes, et n'ai pas précisé assez ce qui est du vieux cadre, si sombre et si terrible.
Ce cadre est daté fortement par certains traits atroces d'un âge maudit, — mais aussi par la place dominante qu'y tient la Femme, — grand caractère du quatorzième siècle.
C'est la singularité de ce siècle que la Femme, fort peu affranchie, y règne cependant, et de cent laçons violentes. Elle hérite des fiefs alors ; elle apporte des royaumes au roi. Elle trône ici-bas, et encore plus au ciel. Marie a supplanté Jésus. Saint François et saint Dominique ont vu dans son sein les trois mondes. Dans l'immensité de la Grâce, elle noie le péché ; que dis-je ? aide à pécher. (Lire la légende de la religieuse dont la Vierge tient la place au chœur, pendant qu'elle va voir son amant.)
Au plus haut, au plus bas, la Femme. — Béatrix est au
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