La Sorcière
couronne de verveine, le lierre des tombes, les violettes de la mort.
Elle fait renvoyer les enfants (jusqu'au repas). Le service commence.
« J'y entrerai à cet autel... Mais, Seigneur, sauve-moi du perfide et du violent (du prêtre, du seigneur). »
Puis vient le reniement à Jésus, l'hommage au nouveau maître, le baiser féodal, comme aux réceptions du Temple, où l'on donne tout sans réserve, pudeur, dignité, volonté, — avec cette aggravation outrageante au reniement de l'ancien Dieu « qu'on aime mieux le dos de Satan 45. . »
A lui de sacrer sa prêtresse le dieu de bois l'accueille comme autrefois Pan et Priape. Conformément à la forme païenne, elle se donne à lui, siège un moment sur lui, comme la Delphica au trépied d'Apollon. Elle en reçoit le souffle, l'âme, la vie, la fécondation simulée. Puis, non moins solennellement, elle se purifie. Dès lors, elle est l'autel vivant.
L' Introït est fini, et le service interrompu pour le banquet. Au rebours du festin des nobles qui siègent tous l'épée au côté, ici, dans le festin des frères, pas d'armes, pas même de couteau.
Pour gardien de la paix, chacun a une femme. Sans femme on ne peut être admis. Parente ou non, épouse ou non, vieille, jeune, il faut une femme.
Quelles boissons circulaient ? hydromel ? bière ? vin ? Le cidre capiteux ou le poiré ? (Tous deux ont commencé au douzième siècle.)
Les breuvages d'illusion, avec leur dangereux mélange de belladone, paraissaient ils déjà à cette table ? Non pas certainement. Les enfants y étaient. D'ailleurs, l'excès du trouble eût empêché la danse.
Celle-ci, danse tournoyante, la fameuse ronde du Sabbat , suffisait bien pour compléter ce premier degré de l'ivresse. Ils tournaient dos à dos, les bras en arrière, sans se voir ; mais souvent les dos se touchaient. Personne peu à peu ne se connaissait bien, ni celle qu'il avait à côté. La vieille alors n'était plus vieille. Miracle de Satan. Elle était femme encore, et désirable, confusément aimée.
Acte deuxième . — Au moment où la foule, unie dans ce vertige, se sentait un seul corps, et par l'attrait des femmes, et par je ne sais quelle vague émotion de fraternité, on reprenait l'office au Gloria . L'autel, l'hostie apparaissait. Quels ? La Femme elle-même. De son corps prosterné, de sa personne humiliée, de la vaste soie noire de ses cheveux, perdus dans la poussière, elle (l'orgueilleuse Proserpine) elle s'offrait. Sur ses reins, un démon, officiait, disait le Credo , faisait l'offrande 46. .
Cela fut plus tard immodeste. Mais alors, dans les calamités du quatorzième siècle, aux temps terribles de la Peste noire et de tant de famines, aux temps de la Jacquerie et des brigandages exécrables des Grandes Compagnies, — pour ce peuple en danger, l'effet était plus que sérieux. L'assemblée tout entière avait beaucoup à craindre si elle était surprise. La sorcière risquait extrêmement, et vraiment, dans cet acte audacieux, elle donnait sa vie. Bien plus, elle affrontait un enfer de douleurs, de telles tortures, qu'on ose à peine les dire. Tenaillée et rompue, les mamelles arrachées, la peau lentement écorchée (comme on le fit à l'évêque sorcier de Cahors), brûlée à petit feu de braise, et membre à membre, elle pouvait avoir une éternité d'agonie.
Tous, à coup sûr, étaient émus quand, sur la créature dévouée, humiliée, qui se donnait, on faisait la prière, et l'offrande pour la récolte. On présentait du blé à l' Esprit de la terre qui fait pousser le blé. Des oiseaux envolés (du sein de la Femme sans doute) portaient au Dieu de liberté le soupir et le vœu des serfs. Que demandaient-ils ? Que nous autres, leurs descendants lointains, nous fussions affranchis 47. .
Quelle hostie distribuait-elle ? Non l'hostie de risée, qu'on verra aux temps d'Henri IV, mais, vraisemblablement, cette confarreatio que nous avons vue dans les philtres, l'hostie d'amour, un gâteau cuit sur elle, sur la victime qui demain pouvait elle-même passer par le feu. C'était sa vie, sa mort, que l'on mangeait. On y sentait déjà sa chair brûlée.
En dernier lieu, on déposait sur elle deux offrandes qui semblaient de chair, deux simulacres : celui du dernier mort de la commune, celui du dernier né . Ils participaient au mérite de la Femme autel et hostie, et l'assemblée (fictivement) communiait de l'un et de l'autre. — Triple hostie, tout humaine.
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