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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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qu'il fait à ses vassales, de prélever chez lui-même, par l'audace d'un enfant, le droit outrageant d'épousailles. Nul doute que, dans ces intrigues où la sorcière avait son rôle, elle n'ait souvent porté un fond de haine niveleuse, naturelle au paysan.
    C'était déjà quelque chose de faire, descendre la dame à l'amour d'un domestique . Jean de Saintré, Chérubin, ne doivent pas faire illusion. Le jeune serviteur remplissait les plus basses fonctions de la domesticité. Le valet proprement dit n'existe pas alors, et d'autre part peu ou point de femmes de service dans les places de guerre. Tout se fait par ces jeunes mains qui n'en sont pas dégradées. Le service, surtout corporel, du seigneur et de la dame, honore et relève. Néanmoins il mettait souvent le noble enfant en certaines situations assez tristes, prosaïques, je n'oserais dire risibles. Le seigneur ne s'en gênait pas. La dame avait bien besoin d'être fascinée par le diable pour ne pas voir ce qu'elle voyait chaque jour, le bien-aimé en œuvre malpropre et servile.
     
    C'est le fait du moyen âge de mettre toujours en face le très-haut et le très-bas. Ce que nous cachent les poèmes, on peut l'entrevoir ailleurs. Dans ses passions éthérées, beaucoup de choses grossières sont mêlées visiblement.
    Tout ce qu'on sait des charmes et philtres que les sorcières employaient est très-fantasque, et, ce semble, souvent malicieux, mêlé hardiment des choses par lesquelles on croirait le moins que l'amour pût être éveillé. Elles allèrent ainsi très-loin, sans qu'il aperçût, l'aveugle, qu'elles faisaient de lui leur jouet.
    Ces philtres étaient fort différents. Plusieurs étaient d'excitation, et devaient troubler les sens comme ces stimulants dont abusent tant les Orientaux. D'autres étaient de dangereux (et souvent perfides) breuvages d'illusion qui pouvaient livrer la personne sans la volonté. Certains enfin furent des épreuves où l'on défiait la passion, où l'on voulait voir jusqu'où le désir avide pourrait transposer les sens, leur faire accepter, comme faveur suprême et comme communion, les choses les moins agréables qui viendraient de l'objet aimé.
    La construction si grossière des châteaux, tout en grandes salles, livrait la vie intérieure. A peine, assez tard, fit-on, pour se recueillir et dire les prières, un cabinet, le retrait, dans quelque tourelle. La dame était aisément observée. A certains jours, guettés, choisis, l'audacieux, conseillé par sa sorcière, pouvait faire son coup, modifier la boisson, y mêler le philtre.
    Chose pourtant rare et périlleuse. Ce qui était plus facile, c'était de voler à la dame telles choses qui lui échappaient, qu'elle négligeait elle-même. On ramassait précieusement un fragment d'ongle imperceptible. On recueillait avec respect ce que laissait tomber son peigne, un ou deux de ses beaux cheveux. On les portail à la sorcière. Celle-ci exigeait souvent (comme font nos somnambules) tel objet fort personnel et imbu de la personne, mais qu'elle-même n'aurait pas donné, par exemple, quelques fils arrachés d'un vêtement longtemps porté et sali, dans lequel elle eut sué. Tout cela, bien entendu, baisé, adoré, regretté. Mais il fallait le mettre aux flammes pour en recueillir la cendre. Un jour eu l'autre, en revoyant son vêtement, la fine personne en distinguait la déchirure, devinait, mais n'avait garde de parler et soupirait... Le charme avait eu son effet.
     
    Il est certain que, si la dame hésitait, gardait le respect du sacrement, cette vie dans un étroit espace, où l'on se voyait sans cesse, où l'on était si près, si loin, devenait un véritable supplice. Lors même qu'elle avait été faible, cependant, devant son mari et d'autres non moins jaloux, le bonheur sans doute était rare. De là mainte violente folie du désir inassouvi. Moins on avait l'union, et plus on l'eût voulue profonde. L'imagination déréglée la cherchait en choses bizarres, hors nature et insensées. Ainsi, pour créer un moyen de communication secrète, la sorcière à chacun des deux piquait sur le bras la figure des lettres de l'alphabet. L'un voulait-il transmettre à l'autre une pensée, il ravivait, il rouvrait, en les suçant, les lettres sanglantes du mot voulu. A l'instant, les lettres correspondantes (dit-on) saignaient au bras de l'autre.
    Quelquefois, dans ces folies, on buvait du sang l'un de l'autre, pour se faire une communion qui, disait-on, mêlait

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