La Sorcière
pays. Ils étaient seize chanoines. La prévoie, en une seule année, reçut des nonnes seize déclarations de grossesse ( Histoire manuscrite de Besse , par M. Renoux, communiquée par M. Th.). Cette publicité avait cela de bon que le crime monastique, l'infanticide, dut être moins commun. Les religieuses, soumises à ce qu'elles considéraient comme une charge de leur état, au prix d'une petite honte, étaient humaines et bonnes mères. Elles sauvaient du moins leurs enfants. Celles de Pignan les niellaient en nourrice chez les paysans, qui les adoptaient, s'en servaient, les élevaient avec les leurs. Ainsi nombre d'agriculteurs sont connus aujourd'hui même pour enfants de la noblesse ecclésiastique de Provence.
25. Garinet, 344.
X
Le P. Girard et la Cadière, 1730
Les jésuites avaient du malheur. Étant si bien à Versailles, maîtres à la cour, ils n'avaient pas le moindre crédit du côté de Dieu. Pas le plus petit miracle. Les jansénistes abondaient du moins en touchantes légendes. Nombre infini de créatures malades, d'infirmes, de boiteux, de paralytiques, trouvaient au tombeau du diacre Pâris un moment de guérison. Ce malheureux peuple écrasé par une suite effroyable de fléaux (le grand Roi, premier fléau, puis la Régence, le Système qui firent tant de mendiants), ce peuple venait demander son salut à un pauvre homme de bien, un vertueux imbécile, un saint, malgré ses ridicules. Et pourquoi rire après tout ? Sa vie est bien plus touchante encore que lisible. Il ne faut pas s'étonner si ces bonnes gens, émus au tombeau de leur bienfaiteur, oubliaient tout à coup leurs maux. La guérison ne durait guère ; n'importe, le miracle avait eu lieu, celui de la dévotion, du bon cœur, de la reconnaissance. Plus tard, la friponnerie se mêla à tout cela ; mais alors (1728) ces étranges scènes populaires étaient très-pures.
Les jésuites auraient tout donné pour avoir le moindre de ces miracles qu'ils niaient. Ils travaillaient depuis près de cinquante ans à orner de fables et de petits contes leur légende du Sacré-Cœur, l'histoire de Marie Alacoque. Depuis vingt-cinq ou trente ans, ils avaient tâché de faire croire que leur confrère Jacques II, non content de guérir les écrouelles (en qualité de roi de France), après sa mort s'amusait à faire parler les muets, faire marcher droit les boiteux, redresser les louches. Les guéris louchaient encore plus. Quant aux muets, il se trouva, par malheur, que celle qui jouait ce rôle était une coquine avérée, prise en flagrant délit de vol. Elle courait les provinces, et, à toutes les chapelles de saints renommés, elle était guérie par miracle et recevait les aumônes ; puis recommençait ailleurs.
Pour se procurer des miracles, le Midi vaut mieux. Il y a là des femmes nerveuses, de facile exaltation, propres à faire des somnambules, des miraculées, des stigmatisées, etc.
Les jésuites avaient à Marseille un évêque à eux, Belzunce, homme de cœur et de courage, illustre depuis la fameuse peste, mais crédule et fort borné, sous l'abri duquel on pouvait hasarder beaucoup. Ils avaient mis près de lui un jésuite franc-comtois, qui ne manquait pas d'esprit ; qui, avec une apparence austère, n'en prêchait pas moins agréablement dans le genre fleuri, un peu mondain, qu'aiment les dames. Vrai jésuite qui pouvait réussir de deux manières, ou par l'intrigue féminine, ou par le santissimo . Girard n'avait pour lui ni l'âge, ni la figure ; c'était un homme de quarante-sept ans, grand, sec, qui semblait exténué ; il avait l'oreille un peu dure, l'air sale et crachait partout (p. 50, 69, 254) 26. . Il avait enseigné longtemps, jusqu'à l'âge de trente-sept ans, et gardait certains goûts de collège. Depuis dix ans, c'est-à-dire depuis la grande peste, il était confesseur de religieuses. Il y avait réussi et avait obtenu sur elles un grand ascendant en leur imposant ce qui semblait le plus contraire au tempérament de ces Provençales, les doctrines et les disciplines de la mort mystique, la passivité absolue, l'oubli parfait de soi-même. Le terrible événement avait aplati les courages, énervé les cœurs, amollis d'une certaine langueur morbide. Les Carmélites de Marseille, sous la conduite de Girard, allaient loin dans ce mysticisme ; à leur tête, une certaine sœur Rémusat, qui passait pour sainte.
Les jésuites, malgré ce succès, ou peut-être pour ce succès même, éloignèrent
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