La Trahison Des Ombres
cette
église, que j’avais coutume de venir ici pour aider les bâtisseurs jusqu’à ce
que la vie de soldat me fasse signe. Je suis devenu maître archer, sergent d’armes.
J’ai pris ma part de pillage, ai donné mon argent aux Lombards puis, quand j’ai
eu mon soûl de combats, je suis revenu céans.
— Étiez-vous marié ?
— Il y a bien longtemps. Mais elle est
morte et voilà. On se lasse de la mort, n’est-ce pas, Sir Hugh ? Un soir,
on mange et on boit avec un ami autour d’un feu de camp, et le lendemain matin
ce même homme reçoit une flèche dans la gorge. Je suis donc revenu il y a
environ douze ans. J’ai acheté la maison du vieux verdier derrière l’église,
mais, pour être franc, je suis surtout rentré pour m’occuper de John.
— Et l’abbé Robert ? interrogea
Corbett.
— Il est comme vous l’avez décrit : un
livre ouvert. C’est un bon prêtre, mais tourmenté, terriblement tourmenté.
— Pourquoi ?
— Il aime les femmes, expliqua Burghesh
dans un murmure. Oh, il n’y a là rien de répréhensible. Bien des prêtres s’en
accommodent. Mais Robert a pris le contre-pied et ne cesse de faire des sermons
sur le désir charnel. Moult paroissiens s’en gaussent.
— C’est pourtant un prêtre compétent, n’est-ce
pas ? insista Corbett.
— Certes, il a un don, surtout avec les
plus jeunes. C’est un homme doux sous son air sévère qui cache un cœur d’or.
— Quelqu’un comme Margaret, la fille du meunier,
aurait-elle pu avoir l’occasion de le rencontrer ?
— C’est possible. Mais venez, Sir Hugh,
vous n’avez point déjeuné. Laissons le père Grimstone.
Il les conduisit dans le cimetière. Le soleil, à
présent, commençait à paraître et la gelée blanche, en fondant, faisait
scintiller l’herbe humide. Des oiseaux plongeaient en piqué au-dessus des
tombes. Un corbeau ou une corneille croassait quelque part. Ils passèrent
devant la croix à moitié achevée. Corbett remarqua la brouette, la houe, la
pioche, la tombe fraîche et le grand tas de terre brune juste à côté.
— Pauvre Elizabeth, murmura Burghesh, ce
sera l’endroit de son dernier repos.
— C’est vous qui l’avez préparé ? s’enquit
Ranulf.
— En effet. Je fais fonction de bedeau, d’homme
à tout faire dans la paroisse. Il le faut. Les affaires marchent bien, tout le
monde est occupé et personne n’a de temps à perdre. Bien sûr, il y a les fêtes
de l’église, le paiement des dîmes, mais pourquoi être fossoyeur si on gagne
davantage en élevant des moutons ?
Ils passèrent devant la maison du prêtre et
empruntèrent le chemin qui traversait un courtil abritant des écuries, des
enclos pour les poules, des poulaillers et une fuie. Au bout de la cour s’étendait
un petit verger planté de pommiers et de poiriers.
— Ils fournissent de bons fruits en été,
fit remarquer Burghesh en s’arrêtant pour regarder les branches. Il
faudrait les tailler.
Ils traversèrent le verger qui laissait place à
un petit champ. Au fond, flanquée d’arbres de chaque côté, se dressait la
maison du verdier. Étroite et haute de deux étages, elle avait du plâtre blanc
et des poutres noires. On avait agrandi les fenêtres garnies de verre et la toiture
venait d’être restaurée.
— C’est ce dont je rêvais, confessa Burghesh.
Il les mena dans l’allée, prit un trousseau de
clés à sa ceinture et ouvrit la porte d’entrée. Le couloir était dallé de
pierres mais propre et bien balayé, les murs chaulés et des pots d’herbes
aromatiques garnissaient des étagères. Le magistrat sentit le parfum de la
lavande, de la menthe pouliot, de l’aigremoine et de la coriandre.
— J’aime beaucoup jardiner, déclara
Burghesh.
Ils continuèrent leur chemin et passèrent devant
une grand-salle agréable, une cuisine et sa resserre pour pénétrer dans le jardin
de simples, derrière. En forme de demi-lune, il était ceint d’un mur de briques
rouges. Burghesh leur montra avec fierté comment il avait disposé les herbes
selon l’usage qu’on en faisait : celles contre les morsures et les
piqûres, celles pour la cuisine et la maison. Puis il les fit rentrer et les
installa autour de l’épaisse table de bois de la cuisine où il apporta bière
brassée à la maison et pain frais.
— Savez-vous aussi cuisiner ? interrogea
Ranulf avec un plaisir non dissimulé.
— Non, je vends les herbes aux apothicaires
et j’achète
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