La Trahison Des Ombres
posèrent sur Sir Maurice.
— Vous êtes donc le rejeton de Chapeleys ?
Mon époux n’a plus jamais été le même après la pendaison de votre père !
Elle s’installa plus commodément sur sa chaise.
— Plus jamais le même !
insista-t-elle.
— On a trouvé autre chose, déclara
Blidscote en ouvrant sa sacoche et en tendant un morceau de vélin roulé en
boule. Apparemment, Deverell tenait ça. On l’a découvert près de son corps.
Corbett déplia le parchemin jaunâtre, sale, et
déchiqueté sur les bords. Les lettres gribouillées rappelaient celles du livre
de corne d’un enfant [10] .
— C’est une citation extraite des
Commandements, commenta-t-il à mi-voix.
Il sourit à Ranulf.
— Il semble que nous en ayons beaucoup. L’avez-vous
lue, Maître Blidscote ?
— Oui, Sir Hugh.
— Que dit-elle ? s’enquit Sir Maurice.
— Tu ne porteras point de faux témoignage.
— Il n’en a pas porté ! s’exclama la
femme de Deverell en se levant à moitié, les traits déformés par le courroux.
Il n’a pas fait de faux témoignage !
Sa voisine la fit se rasseoir et lui tapota
doucement l’épaule.
— Le trépas de Deverell est un véritable
mystère, reprit Blidscote.
— Expliquez-vous !
— Eh bien, Sir Hugh, les volets étaient
toujours barrés et toutes les portes de la maison verrouillées. Alors comment
a-t-il été assassiné ? Comment le meurtrier a-t-il pu faire passer ce message
à la victime ?
Corbett scruta le visage blafard du bailli. Il
était encore tôt et pourtant Blidscote avait bu, bien qu’il ne se soit pas
remis des excès de la veille. « Vous avez peur, pensa le clerc et au
moment opportun je vous pincerai l’oreille, comme un mire le ferait d’un
furoncle, et verrai le pus en sortir. »
— Je veux dire que j’ai dû forcer l’huis,
bégaya le bailli.
Corbett jeta un coup d’œil par-dessus son épaule
et vit la serrure faussée. Il alla ouvrir la porte et s’avança sous le porche
encadré de murs plâtrés. Il aperçut le cernel percé en haut à droite.
— Il est clair que Deverell a renforcé
cette porte, précisa Blidscote. Il a fallu un bélier pour la défoncer.
— Et il n’y a pas d’autre entrée dans la
demeure ? interrogea le clerc, conscient que les autres le rejoignaient
sous le porche.
— Je vous l’ai dit, Sir Hugh, geignit le
bailli, la porte de derrière et les volets étaient verrouillés. La voisine s’est
inquiétée. Elle a épié par la fente d’un volet et a distingué le corps qui gisait
sur le sol. Elle a frappé à grands coups et hurlé. Ysabeau a fini par ouvrir et
on a donné l’alarme.
— Alors, pourquoi avez-vous dû enfoncer l’huis ?
— L’épouse de Deverell était dans un état
épouvantable. Elle jurait que le tueur allait revenir pour l’assassiner. Elle a
refermé. Nous avons crié et tenté de la raisonner.
Il montra une poutre en partie calcinée dans la
cour pavée.
— Nous avons dû forcer l’entrée.
— L’assassin aurait pu se servir du cernel,
réfléchit Corbett. Regardez, il a la largeur et l’épaisseur d’une main. On peut
y appuyer une arbalète. Un carreau atteindrait en pleine face celui qui serait
de l’autre côté.
— Je sais, répondit Tressilyian. Mais, d’après
Ysabeau, les coups ont continué même après le trépas de son mari. Elle s’en
souvient fort bien. Elle était dans sa chambre, a ouï le fracas à la porte et
le bruit de la chute de son époux mais on a continué à tambouriner.
Corbett était près du judas. Il fit mine de
tenir une arbalète d’une main mais, en dépit de ses efforts, ne put atteindre
la porte trop éloignée.
— Il y aurait une autre difficulté.
Le clerc regarda par le cernel Ranulf qui se
tenait à l’intérieur.
— Laquelle, clerc de la Cire verte ?
— Eh bien, répondit ce dernier d’une voix
creuse, Deverell a été occis au cœur de la nuit. Il devait faire sombre.
Comment pourriez-vous savoir à quel moment je me montre au guichet ? C’est
pour cela qu’ils existent, non ? Vous ne pourriez que lâcher un seul
carreau et alors Deverell serait prévenu.
Corbett les fit tous rentrer dans la maison. Il
ferma la porte et se tint sous le porche. Il frappa tout en faisant semblant de
brandir une arbalète dirigée vers le cernel. Ce fut peine stérile.
— Je ne peux faire les deux à la fois,
murmura-t-il.
Il demanda alors à Ranulf de jouer le rôle de Deverell,
ce qui ne
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