La traque d'Eichmann
partit aussitôt retrouver son bataillon en plein combat. Jusqu’à la fin de la guerre, il resta en charge de ce peloton spécialisé dans les attaques de nuit. Ses supérieurs savaient qu’il possédait des nerfs d’acier, qu’il savait improviser et qu’il tuait sans hésiter.
Harel convoqua Eitan dans son bureau. L’apparence physique de ce trentenaire ne semblait nullement correspondre avec sa longue expérience des missions militaires et des opérations secrètes ccclxxxvi . Presque aussi petit que Harel, il avait le torse bombé et les bras musculeux d’un paysan. Extrêmement myope, il portait sur ses yeux exorbités des culs-de-bouteille en guise de lunettes. Il lui arrivait souvent de pencher la tête : à la suite d’une blessure de guerre, il était sourd de l’oreille droite.
Harel lui fit part des opérations ayant conduit à la localisation d’Eichmann, puis résuma le travail accompli ces trois dernières semaines par Aharoni. « Quelle est la probabilité qu’il s’agisse réellement d’Eichmann ? » demanda Eitan ccclxxxvii .
Harel lui répondit qu’il faudrait s’emparer de cet homme d’abord ; la certitude absolue ne pouvait venir qu’ensuite. Aharoni était toujours en quête d’indices. Puis il exposa en détail ce que l’on risquait à kidnapper Eichmann sur le territoire argentin.
« C’est une sacrée opération, acquiesça Eitan avec un sourire ; je n’ai jamais rien entendu de tel.
— Je souhaite que vous en preniez le commandement ccclxxxviii . Primo : vous recruterez les hommes qui conviennent le mieux pour cette mission, dont vous connaissez l’essentiel ; secundo : je veux uniquement des volontaires. Demandez à chacun d’eux s’il se porte volontaire. Si ça tourne mal, ils encourent une peine de prison à vie.
— Aucun d’eux n’hésitera ccclxxxix », dit Eitan avec confiance.
En ce dimanche 20 mars, sur un matelas étendu à l’arrière d’un vieux pick-up Ford, Aharoni observait sa cible à la jumelle à travers une ouverture ménagée dans l’épaisse bâche qui recouvrait l’arrière du véhicule cccxc . Le conducteur – un autre sayan recruté par Yossef – se trouvait à l’intérieur du kiosque tout proche, où il avalait un petit déjeuner tardif. La voiture était garée devant le kiosque, avec une vue imprenable sur la maison des Eichmann à 150 mètres de là. Il avait déjà fait savoir à Harel que l’enquête était terminée, puisqu’il avait identifié leur cible à coup sûr, mais il lui restait une mission à accomplir : prendre une photographie de sa proie pour achever de convaincre Harel.
En attendant de voir Eichmann sortir de chez lui, Aharoni prit une série de clichés de la zone environnante à l’intention de l’équipe chargée de la capture. Il dessina également un plan du quartier.
Soudain, vers 11 h 45, Eichmann passa juste devant la voiture, en se dirigeant vers son domicile. Il avait dû sortir plus tôt que d’habitude ce matin-là. Il prit la direction de la route 202 et tourna sur la gauche avant d’atteindre la rue Garibaldi, afin de gagner sa maison en passant à travers champs. Cette fois, Aharoni put le regarder à loisir, avec son pantalon de toile noire, son imperméable et sa cravate verte. Presque chauve, il portait des lunettes, il avait un front haut et un nez proéminent, et il marchait assez lentement. Aharoni était sûr que c’était bien leur cible. Mais l’homme était trop loin, hélas, pour qu’il puisse prendre une photographie utile.
Pendant une heure, il le guetta de nouveau. Lorsqu’il arriva chez lui, Eichmann dit quelques mots à un petit garçon qui jouait dans le jardin, arrangeant sa chemise et son pantalon. Devant la porte, il balaya d’un revers de la main une nuée de mouches. Plus tard, Aharoni le vit ressortir dans un pantalon de coton, acheter du pain à un marchand ambulant, prélever quelques vivres dans la remise. Son fils Dieter revint à son tour, et toute la famille se retrouva à l’intérieur, sans doute pour déjeuner.
Quand le chauffeur revint du kiosque après son casse-croûte, Aharoni lui fit signe qu’il était temps de partir. De retour à l’ambassade, il écrivit un long rapport à l’encre invisible qu’il fallait transmettre à Harel par la valise diplomatique. Il y consignait chaque détail de son enquête, puis suggérait que l’on passe à l’étape suivante : désormais, toute nouvelle opération de
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