La traque d'Eichmann
planque était fin prête. Shalom, Gat et Eitan firent l’aller-retour à San Fernando pour s’assurer qu’aucun obstacle n’avait surgi sur les divers trajets envisagés. Aharoni se mit en quête d’un garage où acheter une batterie neuve pour la Buick. Au début de l’après-midi, tout semblait enfin prêt : il ne restait plus qu’à attendre le soir.
Les membres de l’équipe se retrouvèrent à Tira. Entre une partie de cartes et une partie d’échecs, ils s’efforçaient de trouver des sujets de conversation neutres – sans grand succès. Certains se retirèrent dans leur chambre pour se détendre, voire dormir un peu, mais on les vit bientôt reparaître dans le salon, plus à cran que jamais.
Allongé sur un lit, Peter Malkin tentait de ralentir sa respiration pour se calmer, mais, dès qu’il fermait les yeux, il voyait Eichmann s’approcher de lui et il se redressait dans un sursaut.
Une heure avant le moment du départ, Malkin s’aspergea le visage d’eau fraîche et s’habilla pour l’opération. Il enfila une perruque, un pull-over bleu et un pantalon noir ; puis il fixa longuement son reflet dans le miroir pour achever de se concentrer sur son personnage. Quand il descendit au salon, les autres étaient déjà prêts. Tabor avait également couvert son crâne chauve d’une perruque, et il portait un lourd manteau qui le rendait plus imposant encore qu’à l’ordinaire. Les autres agents avaient simplement revêtu un pantalon de toile et une veste. Certains avaient mis une cravate pour rendre plus crédible leur statut de diplomates, mais le reste de leur tenue ne présentait rien de particulier. Du reste, seuls Malkin et Tabor étaient censés sortir de la voiture.
Le D r Kaplan était assis sur un divan, une sacoche de médecin à ses côtés. Manifestement mal à l’aise, le visage livide, il manipulait les pièces de l’échiquier d’un air absent.
Juste avant l’heure dite, Eitan exposa le plan une dernière fois. Il ne prononça pas de discours visant à motiver ses coéquipiers : cela eût été superflu. À 18 h 30, tous se mirent en route.
Pour Adolf Eichmann, c’était une journée tout à fait ordinaire qui s’annonçait dxxxiv . Levé à l’aube, il fit sa toilette devant une bassine d’eau avant de prendre son petit déjeuner. Sa femme eut le temps de lui raconter son cauchemar de la nuit. Elle lui recommanda d’être prudent, mais il répondit qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Il sortit de la maison, grimpa dans le bus 203 devant le kiosque et s’installa sur un siège. Le trajet quotidien jusqu’à son lieu de travail durait deux heures et réclamait deux changements de bus ; la dernière partie commençait au pont de Saavedra, qui séparait le centre-ville des quartiers périphériques. Le bus était toujours bondé ; les mêmes passagers y montaient chaque jour, essentiellement d’autres employés de l’usine Mercedes-Benz dxxxv . Durant le parcours de 30 kilomètres en direction du sud-ouest, Eichmann n’ouvrait pour ainsi dire jamais la bouche. Certains le connaissaient sous le nom de Ricardo Klement, mais aucun d’eux n’en savait davantage à son sujet.
Une fois arrivé à l’usine, il allait pointer comme les autres avant de revêtir une salopette Mercedes-Benz bleu nuit pour éviter de souiller sa chemise et son pantalon dxxxvi . En qualité de contremaître, il passait la matinée à parcourir la chaîne d’assemblage afin de surveiller les ouvriers. À la sonnerie de 12 h 30, Eichmann prenait une pause pour déjeuner, seul, dans un restaurant tout proche de l’usine où il avait ses habitudes. Une heure plus tard, à la seconde près, il retournait au travail et finissait sa journée. Il quittait le plus souvent l’usine à temps pour attraper le bus de 18 h 15 en direction du pont de Saavedra, mais, ce soir-là, il devait assister à une réunion syndicale. Pour le reste, c’était un jour comme les autres. Ce n’était certes pas là l’existence qu’il avait imaginée au temps où, gravissant les échelons du parti nazi, il profitait du pouvoir et des privilèges associés à son rang. Il songeait à son passé avec amertume, mais se consolait à l’idée que sa vie présente, aussi humble fût-elle, était celle d’un homme libre.
Au volant de la limousine Buick, Aharoni sortit de la voie express pour s’engager sur la route 202. La nuit était tombée. Eitan était assis à côté de lui ;
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