La traque d'Eichmann
les noces d’argent du couple n’avaient rien à voir avec la présence quasi systématique d’Eichmann à son domicile durant les deux dernières semaines. Il travaillait probablement à Buenos Aires, et c’était là une information précieuse.
Le dimanche 3 avril, Aharoni retourna à San Fernando pour tenter une fois encore de prendre une photographie d’Eichmann en gros plan cccxcv . Il emmenait deux volontaires : Roberto, l’étudiant qui avait apporté la carte postale au n o 4261 de la rue Chacabuco, et « Rendi », un sayan assez âgé pour prétendre qu’il cherchait à construire une maison pour sa famille – car telle était sa couverture. Aharoni avait montré à Rendi comment manipuler la mallette et appuyer sur le déclencheur ; ayant garé le pick-up sous le pont de la voie ferrée, à 70 mètres de la maison, il envoya son acolyte remplir sa mission.
Celui-ci se dirigea droit sur le bâtiment en passant à travers champs. Aharoni, qui l’observait nerveusement à la jumelle, le vit s’approcher d’Eichmann et de son fils Dieter qui travaillaient dans la gour. Au moindre signe de danger, Aharoni aurait couru lui prêter main-forte. Deux minutes passèrent. Puis trois. Puis quatre. Rendi continuait de parler aux deux hommes comme s’il s’était agi de vieilles connaissances.
Il les quitta enfin, et obliqua vers la maison des voisins – sur ordre d’Aharoni, il devait leur demander le prix d’une maison dans le quartier. Puis Rendi se dirigea vers le kiosque et se mit à attendre le bus qui le ramènerait à la gare de San Fernando. Il était certain que son manège n’avait pas été remarqué et que l’appareil avait bien fonctionné. De fait, en recevant le tirage des négatifs trois jours plus tard, Aharoni constata que Rendi avait pris des clichés parfaitement nets d’Eichmann et de son fils, sous trois ou quatre angles différents et tous en gros plan. Avec ces photographies, les spécialistes israéliens de l’identification pourraient confirmer ce dont Aharoni ne doutait plus : on avait retrouvé Eichmann.
Cependant il avait reçu de Harel l’ordre de rentrer en Israël et de lui soumettre son rapport détaillé. Après avoir réglé divers détails, restitué les voitures de location et fait ses adieux à Yossef, il prit un vol pour Paris le 8 avril, avec le sentiment du devoir accompli.
Yaakov Gat accueillit Aharoni à l’aéroport du Bourget, près de Paris, où il faisait une escale de vingt-quatre heures avant de repartir pour Tel Aviv cccxcvi . Aharoni accompagna son hôte dans son appartement de la rive droite et lui montra les négatifs des photographies d’Eichmann. Ils échangèrent leurs informations sur l’enquête, avec le sentiment qu’ils étaient seuls au monde à partager un immense secret. Ils savaient que l’opération de capture était maintenant inévitable, et tous deux souhaitaient y prendre part.
Aharoni promit qu’il demanderait à Harel de recruter Gat dans l’équipe au moment de faire son rapport à Tel Aviv. Mais lui-même n’était pas certain d’en faire partie : le kidnapping n’entrait pas dans son champ de compétences, et il s’était déjà engagé à reprendre ses activités d’interrogateur. Ainsi allait la vie, se disait-il avec une pointe de déception.
Le lendemain, Aharoni s’envola pour Tel Aviv. À peine avait-il embarqué que, stupéfait, il vit Isser Harel remonter l’allée centrale au milieu des passagers. Le chef du Mossad prit place dans le fauteuil voisin sans dire un mot, comme un parfait inconnu. C’est seulement après le décollage qu’il se tourna vers Aharoni et demanda : « Vous êtes absolument certain que c’est notre homme cccxcvii ? »
Aharoni glissa la main dans la poche de son manteau et en retira un négatif, fier de constater que le chef du Mossad s’en remettait à son jugement. « Pour moi, il n’y a pas le moindre doute. Voici sa photo. »
Harel observa la photographie pendant un moment avant de dire :
« Très bien. Dans ce cas, on va aller le chercher.
— Est-ce que je ferai partie de l’équipe ? demanda Aharoni sans y croire.
— Vous en doutiez ? Votre présence sur place sera indispensable. »
Aharoni, aux anges, cala sa nuque sur le repose-tête de son siège.
20
Quand l’équipe du Mossad se réveilla, à l’aube du 11 mai, ce fut pour affronter une longue journée d’attente angoissée dxxxiii . Tabor et Malkin vérifièrent que la
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