La traque d'Eichmann
Était-il rentré plus tôt du travail ce soir-là ? Pire : avait-il eu vent de leur présence ? À l’heure qu’il était, leur proie se trouvait peut-être déjà loin de Buenos Aires.
Malkin jeta un œil en direction de la maison dxlv . Seule une petite lampe l’éclairait. D’habitude, quand Eichmann rentrait chez lui, il y avait davantage de lumière et d’activité. Il n’était donc certainement pas à l’intérieur. En revanche, il avait peut-être pris la fuite, ou simplement un congé pour la semaine. Les agents israéliens, soucieux de changer de planque principale et de finaliser l’opération, n’avaient pas eu le temps de faire le guet les deux soirs précédents pour vérifier qu’Eichmann rentrait bien à la même heure.
Les hommes restèrent en position, laissant se résorber en eux la poussée d’adrénaline provoquée par l’imminence de l’action. Aucun d’eux ne souhaitait mettre des mots sur leur crainte partagée : ils avaient peut-être laissé passer l’occasion d’appréhender l’ancien nazi. Cependant le vent se renforçait encore ; des coups de tonnerre annonçaient un orage proche, et l’on apercevait même des éclairs dans le lointain. À intervalles réguliers, le grondement d’un train se faisait entendre sur la voie ferrée.
Cinq minutes passèrent. Puis dix. Un autre bus arriva en provenance de San Fernando. L’équipe se prépara une fois de plus à l’action, mais celui-là aussi passa sans s’arrêter. Il devenait improbable qu’Eichmann ait simplement manqué son bus habituel dxlvi .
S’il ne se montrait pas avant 20 heures, le plan prévoyait de remettre l’opération au lendemain. Plus ils s’attardaient dans la zone, plus ils risquaient d’être repérés par la police ou par des voisins. Derrière eux, soudain, un moteur se mit en marche. S’étant retournés, ils virent le camion garé derrière eux se diriger vers la voie express : tant mieux, ils n’auraient plus à se préoccuper de son chauffeur.
Ayant fait quelques pas vers la rue Garibaldi et constaté que rien ne bougeait autour de la limousine, Shalom décida d’attendre encore. Il ne voulait pas aller parler à Eitan : si quelqu’un les observait, on pourrait établir un lien entre les deux voitures. Il n’avait pas l’intention de quitter la route 202 avant d’avoir vu s’éloigner la limousine.
L’heure fatidique approchant, Aharoni se retourna vers Eitan : « On s’en va ? On attend dxlvii ? »
Eitan avait déjà pris sa décision quand le premier bus était passé sans s’arrêter. Plus ils s’attardaient, plus il serait délicat de revenir le lendemain, il le savait ; mais il savait aussi que l’équipe ne serait jamais aussi décidée, aussi concentrée qu’aujourd’hui. Il choisit donc de prendre ce risque et dit sans hésiter : « On reste. »
Une minute s’écoula. Puis deux. Une fois encore, tous les membres de l’équipe se mirent à fixer la route dxlviii . Tabor et Malkin étaient convaincus désormais qu’Eichmann ne viendrait pas, et qu’il leur faudrait une fois encore réfléchir et se préparer mentalement à la capture. Ils attendaient qu’Eitan donne l’ordre de lever le camp.
À 20 h 05, l’obscurité fut à nouveau transpercée par la lueur de phares blancs.
Seul devant une tasse de thé au cognac, Isser Harel patientait dans un café non loin de Tira dxlix . Il avait quitté le Claridge dans la matinée et déposé sa valise à la consigne automatique de la gare. Si l’opération était éventée, ou s’il se sentait suivi, il pourrait ainsi disparaître sans laisser de traces ; mais la fièvre qui le faisait grelotter rendait une telle perspective plutôt effrayante, voire insensée.
Sa montre indiquait 20 heures. Ses hommes avaient sans doute déjà appréhendé Eichmann, si du moins tout s’était déroulé comme prévu. Il faudrait encore attendre trois bons quarts d’heure que l’un de ses hommes vienne l’informer du succès de l’opération. Pour ne pas penser aux difficultés imprévues qui avaient pu surgir, il songea à ce que ferait Vera Eichmann en constatant que son mari ne rentrait pas chez lui ce soir-là.
Elle n’irait pas directement au poste de police, Harel en était persuadé dl . Et, même dans le cas contraire, elle ne pourrait guère que signaler la disparition d’un époux : ce type de plainte était d’une extrême banalité et ne risquait pas de mettre la police argentine sur
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