La traque d'Eichmann
Haganah, dans l’espoir qu’on pourrait l’aider à rassembler des preuves contre l’officier.
Une berline noire vint se garer dans le virage, et son chauffeur baissa la vitre du côté passager. La fumée d’un cigare s’envola par l’ouverture. « Friedman ? » demanda-t-il. Le jeune homme acquiesça et monta dans la voiture.
Arthur Pier se présenta tout en redémarrant. Grand, mince, il parlait et s’habillait comme un aristocrate. Il n’était pas beaucoup plus vieux que son passager, mais il affichait un air de compétence placide qui l’impressionna aussitôt. Friedman fit part à Pier de son désir de partir s’installer en Palestine.
« Nous ferons tout notre possible, dit Pier. Je suis moi-même membre d’un kibboutz, et nous avons besoin de jeunes gens vigoureux comme vous, Tadek cxxxviii . »
Friedman, surpris que Pier connaisse son surnom, n’en laissa rien paraître. Ils arrivèrent devant le n o 2 de la Frankgasse, dans le centre de Vienne. Sur la porte, était indiqué « Organisation des réfugiés autrichiens » – mais il s’agissait en réalité du siège de la Bricha, et les six pièces de bureaux débordaient d’activité. Pier fit entrer Friedman dans son bureau et referma la porte. Le jeune homme prit alors la parole : avant de partir pour la Palestine, il voulait qu’on l’aide à se rendre à Stuttgart pour y recueillir des témoignages concernant deux officiers SS .
« Quel est leur nom ? demanda Pier tout en feuilletant un petit carnet noir posé sur son bureau. Ce carnet que vous voyez est le résultat de deux années de travail acharné en Palestine… Konrad Buehmayer ? Oui, il figure sur la liste… Il y avait à Radom un officier de la Gestapo du nom de Schokl. C’est sans doute votre homme, Richard Schoegl. » Devant chaque nom, il inscrivit un petit signe au crayon rouge. Puis il leva les yeux et regarda Friedman. « Tadek, il y a de cela quelques semaines, le responsable de votre kibboutz m’a parlé de vous, et de votre travail à Gdansk. »
Pier lui raconta ensuite que lui-même avait quitté Vienne lors de l’arrivée des nazis cxxxix . Il avait passé plusieurs années à aider d’autres Juifs à se rendre en Palestine, avant que l’Agence juive le charge de recueillir, auprès des réfugiés débarquant à Haïfa, des renseignements sur les criminels de guerre nazis. Au cours des dix-huit mois qui avaient suivi, il avait constitué des dossiers sur des milliers d’Allemands, puis avait remis le fruit de son travail à l’ OSS américain et au Tribunal international de Nürnberg. À la fin de la guerre, dit-il à Friedman, le chef de l’Agence juive, David Ben Gourion, avait réuni certains hauts responsables de l’organisation – dont Pier lui-même – pour les inviter à partir en Europe afin d’organiser l’émigration des Juifs en Palestine et, par là, contribuer à la future création d’un État indépendant. Ben Gourion les avait également priés d’aider les Alliés à pourchasser les criminels de guerre, en utilisant les informations collectées par Pier. Frappant la table de son poing, il avait exigé que ces nazis en cavale soient traînés devant les tribunaux.
Pier était arrivé en novembre 1945, sous une fausse identité de journaliste. Il portait une valise pourvue d’un double fond contenant le petit carnet, ainsi que des pièces d’or destinées à financer l’opération. Il n’avait pas tardé à crouler sous les demandes d’émigration en Palestine, et n’avait pas encore eu le temps de travailler à son autre mission ; mais il était justement en train de constituer une équipe chargée de traquer sérieusement les criminels de guerre, puis de les faire juger. « Ce n’est pas une tâche facile, dit-il. Ici, personne ne travaille pour l’argent. Je sais que vous avez déjà une certaine expérience dans ce domaine, et c’est pourquoi je vous demande de travailler pour nous, de nous aider à retrouver ces criminels cxl . »
Friedman l’écouta parler. Il comprenait enfin pourquoi il avait survécu aux atrocités de la guerre : pour accomplir ce travail.
« Avez-vous déjà entendu parler d’Adolf Eichmann ? » demanda-t-il en désignant son nom dans le carnet. Friedman, vaguement honteux, lui répondit que non. « Vous devez retrouver Eichmann. Je répète : vous devez retrouver Eichmann. » Une fois encore, il pointa le doigt vers son carnet : « Je veux pouvoir le rayer
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