La Vallée des chevaux
levait les yeux la rive lui
semblait désespérément lointaine. A un moment donné, elle crut pouvoir aborder,
mais le fleuve l’entraîna et elle s’éloigna à nouveau de la berge. Elle était
épuisée. Au contact de l’eau, la température de son corps s’était abaissée et
elle frissonnait violemment. Ses muscles étaient douloureux comme si elle avait
nagé avec une pierre attachée à chacun de ses pieds.
Trop fatiguée pour lutter, elle finit par s’abandonner à la
force inexorable du courant. Heureusement, un peu plus loin, le fleuve faisait
un coude et, au lieu de continuer en direction du sud, il obliquait brusquement
vers l’ouest, infléchissant son cours au contact d’une avancée rocheuse qui lui
barrait la route. Avant de céder au courant, Ayla avait déjà traversé les trois
quarts du fleuve et, quand elle aperçut la rive, elle mobilisa toutes ses
forces et reprit le contrôle du radeau.
Accélérant ses battements de pieds, elle essaya d’atteindre la
berge avant que le fleuve ait fini de contourner cette saillie providentielle.
Elle ferma les yeux et se concentra sur les mouvements de ses jambes. Soudain
le tronc eut une secousse : il venait de racler le fond et ne tarda pas à
s’immobiliser.
Incapable de faire un mouvement, à moitié submergée, Ayla
s’accrochait toujours aux deux branches quand un fort remous libéra soudain le
tronc des rochers qui le retenaient. Prise de panique, elle se mit à genoux,
poussa le tronc devant elle jusqu’à ce qu’il se retrouve sur le sable et
retomba dans l’eau.
Même si elle était à bout de forces, elle ne pouvait pas rester
là. Tremblant violemment, elle se mit à ramper vers la rive sablonneuse et s’y
hissa. Elle tripota maladroitement les nœuds de la tige de clématite, réussit à
les défaire et tira son ballot sur le sable.
Ses doigts ne lui obéissaient plus et elle n’arrivait pas à
défaire la lanière en cuir. Heureusement, celle-ci finit par casser net et elle
put alors récupérer la peau d’ours. Repoussant le panier, elle s’allongea sur
la fourrure et la rabattit sur elle. Quand, un instant plus tard, ses
tremblements cessèrent, elle s’était endormie.
Après cette traversée périlleuse, Ayla se dirigea à nouveau vers
le nord et légèrement à l’ouest. Les journées d’été étaient de plus en plus
chaudes, les fleurs des steppes avaient fané et l’herbe lui arrivait à la
taille. Elle ne remarquait toujours aucune trace de vie humaine.
Elle ajouta le trèfle et la luzerne à ses menus, ainsi que des
tubercules légèrement sucrés qu’elle déterrait après avoir suivi sur le sol le
trajet de leurs tiges rampantes. L’astragale lui offrait ses gousses pleines de
pois, verts et ovales, en plus de sa racine et elle n’avait aucune difficulté à
distinguer l’espèce comestible de ses cousines toxiques. Même s’il était trop
tard pour cueillir les bourgeons de l’hémérocalle, les bulbes de cette variété
de lis étaient encore tendres. Certaines variétés précoces de groseilles
rampantes avaient commencé à prendre couleur et, quand elle voulait ajouter un
peu de verdure à ses menus, elle trouvait toujours quelques feuilles tendres
d’ansérine, de moutarde ou d’ortie.
Elle ne manquait pas non plus d’occasion d’utiliser sa fronde.
Les pikas [2] des steppes, les marmottes, les grandes gerboises et toutes sortes de lièvres, qui
avaient échangé leur blanche fourrure d’hiver pour un pelage gris-brun,
abondaient dans les steppes. Il y avait aussi, bien que plus rarement, des
hamsters géants, omnivores et grands amateurs de souris. La perdrix des neiges
et le lagopède des saules au vol lourd étaient un vrai régal même si Ayla, en
mangeant de ce dernier, ne pouvait s’empêcher de penser à Creb. L’oiseau dodu
et aux pattes recouvertes de plumes était en effet le mets préféré du vieux
magicien.
Ces petites créatures n’étaient pas les seules à profiter de la
libéralité des vastes plaines et à y festoyer durant l’été. Il y avait aussi
des troupeaux de cervidés – rennes, cerfs communs, cerfs géants aux
andouillers gigantesques –, des chevaux des steppes trapus, des ânes et
des onagres qui se ressemblaient tellement qu’on avait du mal à les distinguer.
Parfois Ayla croisait un bison énorme ou une famille de saïgas. Elle
rencontrait aussi des troupeaux de bovidés au pelage brun-roux : les mâles
atteignaient deux mètres sous le garrot
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