La Vallée des chevaux
et les veaux, nés au printemps, étaient
encore accrochés au pis gonflé de leur mère. Rien que de penser à leur viande
nourrie de lait, Ayla avait l’eau qui lui venait à la bouche. Malheureusement,
ce n’est pas avec une fronde qu’elle pouvait s’attaquer à un aurochs. Elle
aperçut aussi des mammouths laineux en train d’émigrer, des bœufs musqués, en
troupe serrée et les petits à l’arrière, qui faisaient face à une bande de
loups, et une famille de rhinocéros laineux qu’elle évita avec soin,
connaissant leur caractère irascible. Le rhinocéros était le totem de Broud et
elle songea qu’il lui convenait parfaitement.
Alors qu’elle continuait à avancer vers le nord, le paysage
commença à changer : il devint plus sec et plus désolé. Elle avait atteint
l’extrême limite des steppes continentales humides et enneigées en hiver.
Au-delà s’étendaient des steppes arides et recouvertes de lœss qui se
prolongeaient jusqu’aux vertigineux à-pics des immenses glaciers de l’époque
glaciaire.
Les glaciers, ces épaisses couches de neige transformées en
glace, enserraient alors le continent et recouvraient l’hémisphère nord. Près
d’un quart de la terre était enfoui sous leur masse incommensurable. L’eau
emprisonnée dans les glaciers provoquait une baisse du niveau des océans,
faisant progresser les côtes et modifiant l’aspect du littoral. Aucune portion
du globe n’échappait à leur influence : les pluies inondaient les régions
équatoriales et les zones désertiques se raréfiaient. Mais plus on se
rapprochait des glaciers, plus les effets en étaient sensibles.
L’immense champ de glace suscitait un phénomène de condensation
et l’humidité ainsi produite retombait sous forme de neige. Près du centre, la
haute pression étant constante, le froid devenait extrêmement sec et repoussait
les chutes de neige aux confins des glaciers. C’est donc là que ceux-ci
progressaient. La couche de glace était presque uniforme sur toute son étendue
et avoisinait deux milles mètres d’épaisseur.
Comme les franges du glacier recevaient la plupart des chutes de
neige, les régions qui le jouxtaient au sud étaient sèches – et
gelées. La haute pression régnant au centre du glacier créait un couloir
atmosphérique qui canalisait l’air froid et sec vers les zones de basse
pression. Le vent venu du nord soufflait sans interruption sur les steppes,
charriant des particules de roches pulvérisées qui avaient été broyées par le
front du glacier. A peine plus grosses que celles qui composent l’argile, ces
particules – ou lœss – se déposaient sur des centaines de
kilomètres et sur une épaisseur de plusieurs mètres.
En hiver, les terres nues et glacées étaient balayées par le
vent qui poussait devant lui de rares chutes de neige. La terre poursuivait sa
rotation et à nouveau les saisons changeaient. Mais la formation d’un glacier
étant provoquée par un abaissement de quelques degrés de la moyenne des
températures annuelles, les rares journées chaudes avaient bien peu d’effet si
elles ne modifiaient pas cette moyenne.
Au printemps, la fine couche de neige qui s’était déposée sur le
sol fondait, la croûte extérieure du glacier se réchauffait et les eaux
s’infiltraient à travers les steppes. Elles ramollissaient superficiellement le
sol et permettaient à quelques plantes aux racines peu profondes de pousser.
L’herbe croissait rapidement, sachant que ses jours étaient comptés. Au cœur de
l’été, cette herbe ayant séché sur pied, le continent n’était plus qu’une
immense réserve de fourrage parsemée d’îlots de forêt boréale et bordée de
toundra près des océans.
En lisière des glaciers, là où la couche de neige était peu
épaisse, ces pâturages attiraient tout au long de l’année d’innombrables
troupeaux d’herbivores et de granivores qui s’étaient adaptés aux rigueurs du
climat – ainsi que des prédateurs, capables de supporter n’importe
quel climat à condition que celui-ci convienne à leurs proies. Un mammouth
pouvait très bien brouter au pied d’un immense mur de glace blanc bleuté qui
s’élançait à deux mille mètres au-dessus de lui.
Les cours d’eau saisonniers alimentés par la fonte des glaces se
frayaient un passage à travers le lœss et même souvent à travers les roches
sédimentaires, atteignant alors la plate-forme granitique qui se trouvait sous
le
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