La Vallée des chevaux
pour l’achever quand elle s’aperçut que
Bébé avait fini le travail.
Elle avait déjà installé le cerf sur le travois quand elle
réalisa soudain ce qui venait de se passer. Aussi jeune fût-il, Bébé était
maintenant capable de chasser sans l’aide de quiconque ! Au sein du Clan,
une telle prouesse aurait fait de lui un adulte. De même qu’Ayla avait été
appelée la Femme Qui Chasse avant d’être une femme, Bébé était devenu adulte
avant sa maturité. Pour lui aussi, il faudrait une cérémonie, se dit-elle. Mais
comment faire pour que cette cérémonie ait un sens à ses yeux ? La réponse
ne se fit pas attendre et Ayla sourit en pensant à la surprise qu’elle allait
lui faire.
Elle s’approcha du travois et tira le cerf sur le sol. Puis elle
rangea la natte et les deux longues perches dans les paniers placés sur le dos
de la jument. C’est lui qui a tué ce gibier, se dit-elle. Ce cerf lui
appartient. Bébé ne comprit pas tout de suite ce qui se passait. Il commença
par faire des allées et venues entre le cerf et la jeune femme. Quand il vit
qu’Ayla s’en allait sans emporter la dépouille, il planta ses crocs dans le cou
du cerf et, plaçant l’animal sous lui, il le tira jusqu’à la plage, puis le
long de l’étroit sentier, jusqu’à l’intérieur de la caverne.
Après cet épisode, Ayla ne nota pas tout de suite de changement
notable. Ils partaient toujours chasser tous les trois. Mais la poursuite de la
jument était bien souvent un simple exercice et le coup d’épieu d’Ayla de moins
en moins nécessaire. Si elle voulait un morceau de viande, elle se servait la
première. Si la peau l’intéressait, Bébé la laissait dépecer l’animal. Dans une
troupe de lions, le mâle dominant avait toujours le droit aux plus beaux
morceaux et il se servait le premier. Mais Bébé était encore jeune. Il n’avait
jamais eu faim et était habitué à ce qu’Ayla ait le rôle dominant.
Malgré tout, à l’approche du printemps, il commença à
quitter la caverne et à partir en exploration. Ses absences ne duraient pas
longtemps, mais elles étaient fréquentes. Un jour, quand il rentra, il était
blessé à l’oreille. Ayla en déduisit qu’il avait rencontré d’autres lions. Elle
se dit que Whinney et elle ne lui suffisaient plus : il avait maintenant
besoin de ses congénères. Elle soigna l’oreille blessée. Le lendemain, Bébé ne
la quitta pas d’une semelle et, le soir, lorsqu’elle fut couchée, il vint se
blottir contre elle et chercha ses doigts pour les sucer.
Il ne va pas tarder à me quitter, se dit Ayla. Il a besoin de
vivre en bande, que des lionnes chassent pour lui et qu’elles lui donnent des
lionceaux qu’il puisse dominer. Cette constatation lui remit en mémoire les
paroles d’Iza. « Pars à la recherche de ton peuple et du compagnon qui
t’est destiné », lui avait dit la guérisseuse. Le printemps sera bientôt
là, se disait Ayla. Moi aussi, il va falloir que je parte. Mais pas tout de
suite. Bébé a beau être énorme et beaucoup plus développé que les lions du même
âge, ce n’est pas un adulte. Il a encore besoin de moi.
Les crues printanières réduisirent soudain leur liberté
d’action. C’est Whinney qui en souffrit le plus. Quand Ayla voulait sortir,
elle empruntait le raidillon qui menait aux steppes au-dessus de la caverne. Bébé
n’avait aucun mal à la suivre dans son escalade. En revanche, ce passage était
trop escarpé pour Whinney. Elle dut attendre la décrue pour pouvoir emprunter à
nouveau le sentier qui menait à la rivière. Mais, même alors, elle restait
irritable.
Ayla se rendit compte que quelque chose n’allait pas le jour où
Bébé reçut un coup de sabot. C’était vraiment surprenant. La jument avait
toujours fait preuve d’une patience d’ange à l’égard du jeune lion. Il lui
arrivait parfois de le mordre pour le rappeler à l’ordre, mais jamais encore
elle n’avait rué pour le chasser. Ayla pensa d’abord que ce comportement
étrange était lié à la longue période d’inactivité que venait de connaître la
jument. Puis elle se dit qu’il n’était pas normal que Bébé se soit permis une
incursion sur le territoire de Whinney qu’habituellement il respectait. Il
avait dû être attiré par quelque chose d’inhabituel. En s’approchant de la
jument, la jeune femme prit conscience d’une forte odeur qu’elle avait
vaguement notée depuis qu’elle était réveillée.
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