La vengeance d'isabeau
Elle savait qu’Albérie ne serait pas contente qu’elle sorte seule, mais le temps de lui expliquer, de la convaincre de laisser son ouvrage et de l’accompagner, elle était certaine de retrouver l’animal transi.
Les garçons se désintéressaient d’elle. Elle sortit résolument, Noirot sur ses talons. Le faon avait fait quelques mètres, visiblement dépité de ne pas trouver de nourriture. L’air était glacé et il ne sentit la présence de la fillette que lorsqu’elle fut auprès de lui. Apeuré, il sauta de côté et détala dans les sous-bois.
— Reviens, cria Gasparde en enfonçant ses bottines dans la neige, trébuchant d’en avoir jusqu’au genou.
Elle s’approchait des taillis pour le suivre lorsque Noirot se mit à grogner, les poils hérissés.
— Suffit, Noirot, tu vas l’effrayer, dit-elle.
Mais l’animal ne se calma pas d’une tape sur le nez. De plus en plus hargneux, il se mit à aboyer en direction d’un arbre épais à quelques mètres.
Huc fendait du bois sous l’appentis à trois enjambées de là. La rage de l’animal qu’il croyait enfermé auprès des enfants le fit accourir. Il déboucha derrière eux comme Gasparde hurlait à son tour. Un homme avait surgi et l’animal s’était jeté sur l’épée qu’il avait sortie.
— Cours, Gasparde ! cria Huc en se précipitant.
La fillette s’efforça d’obéir, hurlant toujours, tandis que le prévôt sautait à grandes enjambées les monticules de neige.
Il fut sur l’inconnu comme Noirot lâchait prise, terrassé. Gasparde trébuchait, s’écartant du danger.
Derrière la vitre, le regard exorbité des garçons lui renvoya sa propre image. La porte s’ouvrit comme la petite fille parvenait à l’escalier. Albérie, alertée, se précipita, la fit rentrer et referma la porte pour la mettre à couvert. En face d’elle, Huc avait levé sa cognée et l’abattait en direction de l’homme. Le cœur déchiré, elle l’entendit crier :
— Mets les enfants à l’abri.
Elle ne broncha pas. L’instant d’après, vaincu par la jeunesse de son assaillant, Huc s’effondrait.
— Non ! hurla Albérie en se précipitant enfin.
L’inconnu planta une dernière fois son épée dans le flanc du prévôt puis tourna les talons avec agilité et s’effaça dans les bois.
Avertis par les enfants, des gardes accouraient déjà et lui donnaient la chasse, mais Albérie ne les voyait pas. Seul ce sang écarlate qui s’élargissait comme une rose épanouie sur un écrin d’albâtre obnubilait son regard. Elle fut auprès de Huc alors qu’il hoquetait, le souffle coupé par l’entaille en sa poitrine.
— Huc, gémit-elle, ne me quitte pas. Pas encore. Je t’en prie.
Huc ouvrit les yeux, déjà voilés par des visions d’ailleurs.
— L’heure est venue de nous séparer, murmura-t-il.
Une quinte de toux lui fit cracher un filet de sang et Albérie fondit en sanglots convulsifs.
— Tu as vu, dit-il, cette fois je l’ai sauvée.
Ses paupières se refermèrent sur un sourire et Albérie hurla dans le silence de l’hiver, berçant contre sa poitrine le seul homme qu’elle ait jamais aimé. Lorsque le souffle lui manqua à son tour, elle enfouit son visage dans son cou pour se repaître encore de son odeur, de sa substance.
Deux soldats revinrent, bredouilles. L’agresseur s’était évaporé comme par magie. Pas davantage ils ne comprenaient comment il avait pu forcer l’enceinte sans qu’aucun d’eux l’aperçoive. Mais Albérie n’entendait rien, ne voyait rien que ce sang qui se mêlait au carmin de sa robe. Comme une plaie en sa propre chair. Peu à peu, les hommes du prévôt s’approchèrent l’un après l’autre, entourant avec respect cette dernière étreinte.
Puis le capitaine des gardes s’engroua auprès d’Albérie et posa ses mains glacées sur ses épaules secouées de spasmes.
— C’est fini, madame, murmura-t-il en la tirant doucement à lui. Il vous faut rentrer. Nous allons nous occuper de lui.
Albérie ne bougea pas.
— Venez, insista-t-il. Venez.
Elle se laissa emmener. Loin de cette chaleur de vie qui s’éloignait, elle perçut de plein fouet la morsure de l’hiver sur ses vêtements trempés. Elle se mit à claquer des dents, à trembler, et seuls les gémissements des enfants qui se jetèrent contre ses jambes ankylosées la ramenèrent à la réalité.
Bénédicte l’enroula dans une couverture et ordonna :
— Il faut vous
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