La vengeance d'isabeau
ravit l’empereur et épuisa le roi. Son « rume sur les génitoires » l’avait laissé douloureux au périnée et il avait beau se plier aux recommandations des médecins, il ne pouvait pas davantage monter à cheval. Suivre une chasse en litière était pour lui supplice plus grand encore que la douleur physique. Son orgueil lui donnait maux d’autant que l’empereur ne perdait pas une occasion de lui demander, hypocrite, s’il ne préférait pas se reposer que poursuivre. François I er forçait le trait et répondait tout aussi civilement :
— Mon plaisir vient du vôtre, mon frère ! Vous ne sauriez m’en priver, n’est-ce pas ?
Au soir venu, pourtant, ce 30 décembre, l’empereur faisait ses adieux à Fontainebleau et remerciait François, les larmes aux yeux, pour l’hospitalité d’une demeure aussi plaisante que son roi. Entouré de son épouse Eléonore et de ses enfants, François l’invita à prendre place dans une gondole qu’il avait fait venir de Venise. Bercée par le miroir de la Seine, l’embarcation éloigna lentement de Marie le souffle malsain du danger.
Le surlendemain, Charles Quint faisait une entrée triomphale dans Paris, précédé d’une procession interminable de notables et de clercs. Le canon tonna à plusieurs reprises et François se félicita d’avoir accepté l’offre de Montmorency. Depuis ses fenêtres, la vue était d’autant plus agréable qu’il n’avait pas à déguiser le plaisir qu’il prenait à cette farce diplomatique. Car s’il avait voulu cette entrée pour Charles Quint, c’était surtout pour que l’empereur mesure combien il aurait aimé y pénétrer en vainqueur.
— Le voici ! annonça Anne de Pisseleu en battant des mains.
Le roi tendit le cou, bravant le crachin qui s’abattait sur la ville. Protégé par un dais à ses couleurs, juché sur un cheval noir, l’empereur saluait la foule d’une main gantée.
— Il a moins belle allure que vous ! Glissa Marie à l’oreille du roi qui l’en remercia d’un sourire et referma la fenêtre.
— Le froid est vif. Il nous a vus. Cela me suffit bien. Il va mettre du temps pour arriver à Nostre-Dame si j’en juge par l’allure de son escorte. Quant au légat pontifical chargé de l’accueillir, il est plus bavard qu’une pie.
Nous avons donc le temps d’un lait chaud et d’une conversation. Car nous avons à parler, Marie, déclara le roi.
— Souhaitez-vous que je vous laisse, Sire ? demanda Anne de Pisseleu par courtoisie, certaine que le roi la prierait de rester.
Il n’en fit rien cependant et tout au contraire insista :
— S’il vous plaît, très chère. Allez porter mon nom au-devant du cortège. Notre connétable vous y accompagnera.
Montmorency aurait voulu insister pour assister à l’entretien, car il tenait à se justifier lui-même des reproches qu’on lui ferait. Mais le regard froid du roi l’en dissuada.
— Avec grand honneur, Majesté, se contenta-t-il de répondre en offrant galamment son bras à Anne de Pisseleu.
Pincée, la maîtresse royale l’accepta et s’éclipsa. Elle enrageait toujours de ce qu’une autre qu’elle puisse retenir, ne fût-ce qu’un instant, l’attention du roi.
Marie et François I er conversèrent de banalités jusqu’à ce qu’un valet leur eût servi collation de pain d’épices et lait chaud à la cannelle, dans un petit salon coquet d’un bleu sombre où ils s’installèrent comme de vieux amis. Ensuite seulement, Marie parla d’elle, de sa boutique, de Constant, de Jean, de ses enfants, d’Isabeau et de Chazeron. Sans rien oublier, sans rien omettre. Pour la première fois de sa vie, elle livra le secret des siens dans son entier, sans peur. Elle sentait, dans ce lieu informel, que ce n’était pas à son roi qu’elle se confiait, mais au seul qui pourrait comprendre ses choix, ses doutes et ses crimes. Elle termina avec les derniers événements en y incluant ce qu’elle avait appris sur Catherine et sur le connétable, sans que François l’interrompe une seule fois, ravi sincèrement de sa confiance, malheureux pourtant de ce qu’elle impliquait.
— Sire, conclut-elle, je remets ma vie entre vos mains. Et j’accepterai votre châtiment quoi qu’il advienne, mais je vous en supplie, qu’aucun mal ne soit fait à mes enfants ni aux miens.
— Il ne saurait être question de cela, Marie, répondit le roi en lui prenant les mains. Je sais votre affection et rien,
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