La vengeance d'isabeau
infectées peu à peu.
— J’avais bien le sentiment d’être fiévreuse par moments, mais cela ne durait pas et ce voyage aurait hallebrené n’importe qui. De plus, je prenais soin d’appliquer de la décoction de pavot à chaque halte.
— Cela n’a pas suffi. Il est difficile de se garder convenablement propre en voyage. J’ai dû bistorier tes chairs pour libérer l’apostème. Dès lors, la fièvre qui t’épuisait s’est réduite, et les humeurs qui t’avaient poussé à l’aine se sont résorbées. Tout ira bien. Tiens, dit-il en lui tendant le gobelet. Bois cette potion, cela te remettra car voici deux jours que je te tiens endormie pour mieux te soigner.
— Deux jours ! répéta Marie. Et moi qui étais si impatiente.
Elle but le breuvage amer sans s’inquiéter de son contenu. Son père savait ce qu’il faisait.
— Comment as-tu su ? demanda-t-elle.
— À tes urines. Je les examine toujours et en premier.
De la pestilence s’y trouvait mêlée. À présent, repose-toi. Demain, tu pourras te lever et manger. Il était temps que tu parviennes jusqu’à nous. Quelques jours de plus et l’infection aurait sûrement gangrené ton ventre. Je ne pense pas que ce soit le cas.
Marie sentit le sommeil la gagner. Elle ne s’en étonna pas.
— Pourrai-je encore procréer ? demanda-t-elle dans un bâillement.
La réponse ne fut qu’un éclat de rire que le somnifère emporta.
Elle fut ravie le lendemain de constater que son père avait vu juste. Elle put uriner sans brûlure d’aucune sorte, ce qui n’était pas le cas ces dernières semaines. Et se rasséréna de lire dans les yeux de Ma qui ne l’avait pas quittée la même tendresse qu’autrefois.
Elle voulut s’habiller, mais la louve donna aussitôt l’alerte en aboyant. Philippus parut, les mains tachées d’un liquide violacé. Il les frotta sur un tablier déjà maculé de taches diverses.
— Bien, bien, annonça-t-il en s’approchant d’elle. Et si nous commencions par parler.
— J’ai faim ! dit-elle pour seule défense.
— Elle a faim ! Entends-tu, Loraline ? Notre fille a faim ! Eh bien allons déjeuner ! ajouta-t-il en éclatant de ce rire qui claquait comme un coup de fouet.
Marie fut contrainte de prendre un bain chaud, condition préalable pour se vêtir, ce qui nécessita une bonne heure avant qu’elle puisse descendre les degrés en grimaçant. Marcher lui fut plus pénible encore.
— Il faudra quelque temps avant que tes plaies soient cicatrisées, expliqua Philippus.
La table était garnie d’une poularde farcie, de jambon, de pâté et de légumes variés. Marie s’y installa sans se préoccuper du décor de la maisonnée. Une cheminée répandait une douce chaleur et, derrière la fenêtre qui s’ouvrait sur la rue, des flocons de neige batifolaient.
C’est en déchirant une belle tranche de pain qu’elle se souvint de l’escorte qui l’avait accompagnée. Philippus la rassura, amusé :
— Ils ont pris un repos bien mérité et sont logés dans la souillarde sur des matelas de paille fraîchement rembourrés. Pour l’heure, je gage qu’ils sont au logis voisin. Hier, Bigot a perdu vingt sols aux dés. Il était bien décidé à se refaire.
— C’est un joueur invétéré, reconnut Marie. Sa solde entière y passe chaque mois. Je vais les renvoyer en France.
— Sûrement pas, insista Philippus. Ils seront ici nourris et logés, et te sont fidèles autant que discrets. Trois hommes de plus ne dérangeront pas le vieux loup que je suis !
Pour lui donner raison, Ma aboya avec vivacité.
— Très bien, consentit Marie. Mais le temps risque de leur durer car je ne repartirai pas avant que nous ayons trouvé ce que je suis venue chercher.
Philippus sentit sa joie retomber. Elle ne se risqua pas à ébranler ce silence et trancha une cuisse de poularde avec envie. Il la rejoignit à table et la regarda mordre et déchiqueter la viande à pleines dents. Un pli soucieux barrait son front, ride épaisse que la désillusion avait tracée.
— Il est possible que nous ne trouvions jamais, Marie.
Elle releva la tête. Ma avait appuyé la sienne sur le velours de sa robe.
— Je refuse cette idée, objecta-t-elle.
— Voici neuf années que j’explore tous les possibles, laissa-t-il tomber comme une sentence. Je n’ai pas renoncé, Marie, mais je finis par croire qu’Isabeau avait raison. Peut-être l’alkaheist n’a-t-il existé
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