La vengeance d'isabeau
d’un pied sur l’autre en jurant. Mi-furieux, mi-amusé, il se rua sur elle et l’enlaça. L’hilarité de Marie se perdit dans le baiser fougueux qu’il lui donna, chassant d’un coup les effluves de leur enfance.
Un instant, Marie entrouvrit les yeux et croisa le regard douloureux de Jean campé dans l’embrasure de la porte. Elle les referma aussitôt et s’abandonna aux bras de Constant, se persuadant qu’elle avait rêvé.
— Nous deux, c’est pour la vie, pas vrai ? Gémit la voix de Constant dans ses cheveux.
— Oui, répondit-elle de tout son cœur.
Mais cette certitude ne réglait rien entre eux.
Les huit jours qui suivirent furent une véritable fête, malgré la menace. Il n’y eut pas d’autres incidents alentour, et chacun d’eux en savait la raison : le seigneur de Vollore voulait cette confrontation. Restait à savoir sur qui se refermerait le piège. Aucun n’avait envie d’y songer, tout au bonheur des retrouvailles. Marie s’émerveillait de ce père qu’elle découvrait. Par lui, elle apprit enfin ce que seule sa mère aurait pu lui conter. Leur étrange rencontre, leur serment. Elle voulait tout savoir de lui, d’eux, avide de découvrir qui elle était, après tant d’années d’ignorance, de mensonges que pourtant elle ne reprochait à personne. Elle était fascinée aussi par cette pierre philosophale, par le secret de la mutation qu’avait subie Loraline. Elle ouvrit à Isabeau et Philippus la porte du premier étage qu’elle avait fait forcer, n’en ayant pas la clé, s’attendrit de voir sa grand-mère y retrouver ses croquis, ses annotations, et Philippus y déchiffrer les travaux les plus récents de Chazeron. Elle voulait tout savoir, tout apprendre : l’alchimie, l’anatomie, la chirurgie, l’astrologie, persuadée qu’ainsi elle se rapprocherait des siens davantage encore, en participant à leurs travaux.
Constant restait grognon devant son enthousiasme.
Elle évitait d’y penser. La vérité la blessait, car il était évident que Constant n’aimait pas Vollore. De fait, il ne supportait pas de rester enfermé dans l’enceinte du château, habitué à sa liberté. Marie le savait. Elle se mentait en songeant qu’après ce serait différent, refusant de voir le fossé qui se creusait entre eux, et se réjouissait qu’il aidât Huc et Jean à préparer la traque avec Bertrandeau.
Elle eut lieu enfin. Le 6 juin 1532. Sous la lune pleine. Ce fut une nuit étrange. Malgré ses réticences, Albérie avait fini par se laisser convaincre d’attendre au milieu des siens que sa propre transformation s’opère. Philippus s’était invité pour noter chaque étape dans le processus, chaque détail qui eût pu lui servir. Marie avait tenu à y assister, elle aussi, pour mieux comprendre la métamorphose de Ma. Si Albérie avait cédé à leurs raisons, elle s’était montrée plus réticente envers Huc, de peur que resurgisse entre eux le spectre des années passées. Huc savait mais n’avait jamais approché l’animal en elle. Par-viendrait-il à l’aimer encore, à la toucher, à la caresser après cette vision cauchemardesque ? Tant de fois elle s’était elle-même détournée des miroirs… Leurs retrouvailles avaient été complices plus qu’elle ne l’avait espéré. Cette découverte n’allait-elle pas tout gâcher ?
— C’est la dernière barrière entre nous, Albérie. Peut-être le seul moyen pour moi de découvrir totalement la femme que j’ai épousée. Cette partie-là de toi ne m’appartient pas. Offre-la-moi. Je suis prêt à la recevoir.
Elle avait fini par le croire. Elle s’abandonna, accoucha de la louve grise dans cette même chambre où pour la première fois ils avaient fait l’amour. Là où tout avait commencé. À Montguerlhe, pillé, dévasté, abandonné à sa malédiction. Gardé seulement par quelques hommes qui encaissaient les droits de passage des pèlerins, des voyageurs sur la voie romaine.
Elle s’offrit à ses démons en hurlant, des larmes dans les yeux de son époux, entourée des siens écartelés par sa souffrance. Ensuite, il fallut se ressaisir, lutter contre l’émotion qui les avait gagnés tous jusqu’en leurs tripes. Aller au-devant du véritable monstre de Montguerlhe. Et l’affronter.
Isabeau marcha devant, les deux louves sur ses talons, Marie fermant la procession. « Quatre femmes, deux louves », songea Philippus en les voyant s’éloigner dans la lueur des
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