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La vengeance d'isabeau

La vengeance d'isabeau

Titel: La vengeance d'isabeau Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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un objet d’étude sur cette table où elle avait sacrifié les gnomes sortis de son ventre, et son ventre même. Par amour. L’amour des siens.
    Elle s’était crue tout entière de haine. Durant des années. S’imaginant que chacun de ses actes était esprit de vengeance. Elle s’était trompée. Elle n’avait été qu’amour. Amour perdu, amour volé, amour trahi, amour.
    Isabeau regarda Philippus scier le crâne épais de la bête, mettre à nu cette cervelle dont la folie s’était enfin échappée. Livrerait-elle les secrets de son âme ? Elle l’espérait. Pour n’avoir pas à donner naissance à l’enfant. Pour n’avoir pas à tuer. La mort de Chazeron l’avait éreintée. Elle l’avait trop attendue.
    Philippus lui jeta un regard inquiet. Elle lui sourit. Elle se sentait lasse. Elle comprenait pourquoi Loraline avait choisi cet homme. Il avait dû être beau. Il était devenu laid. De cette laideur que procurent l’oubli de soi, le dégoût de la vie. Des années durant, dans cette grotte, elle s’était enlaidie, elle aussi. Puis il y avait eu Paris. Et ces gens qui avaient su réveiller sa beauté perdue. Grâce à leur amour. Elle se devait de lui rendre la sienne. Celle de Loraline aussi. Surtout. Ensuite, elle pourrait dormir. Enfin.
    — Vous devriez aller vous reposer.
    Elle secoua la tête.
    — Ma place est ici, Philippus. Je n’ai pas tout consigné par écrit. L’alkaheist n’a qu’un seul maître, ajouta-t-elle pour plaisanter.
    Philippus acquiesça. Elle semblait prête à défaillir mais se tenait droite, et son regard ne cillait pas, malgré le sang épars, malgré l’odeur puante de cette chair à la texture étrange. Elle avait seulement jeté un linge sur le sexe nu, comme si cela suffisait pour oublier. Oublier son sacrifice. Jamais il n’avait connu de femme comme elle. Jamais il n’en connaîtrait d’autre. Il écarta les os du crâne et avec un infini respect annonça :
    — Son âme vous appartient, madame. Puissiez-vous y retrouver Dieu.
    Isabeau inspira profondément puis plongea sans faillir ses doigts dans l’orifice béant.
     
    Albérie portait éparses sur son corps les traces de morsures de la bête. Elle ne se souvenait pas de s’être couchée. Mais elle s’éveillait seule. Elle en frissonna un instant puis la tendresse de Huc baigna sa mémoire. À l’instant où elle redevenait femme, il l’avait embrassée, avait murmuré qu’il l’aimait. Entière. Plus que la mort de Chazeron, la vengeance des siens, c’était cela qu’elle avait attendu sa vie durant. Cette acceptation totale de sa différence. Enfin réconciliée avec son double, elle sentit ses yeux piquer. Elle pouvait pleurer sans retenue. Elle n’avait rien d’autre qu’une enveloppe de peau à laver. Son âme, elle, était propre. À jamais.
    Ils n’étaient pas rentrés à Vollore. Huc avait jugé préférable d’achever la nuit à Montguerlhe, même si la forteresse n’avait plus rien de confortable. Il y avait gardé deux chambres intactes. Celle où il avait aimé son épouse et celle que s’était octroyée Antoinette de Chazeron lors de son séjour en 1516. C’était si loin. Il avait étendu Marie dans cette dernière, laissant Constant dormir sur un tapis élimé, au pied du lit, pour ne pas la gêner. Marie n’avait pas voulu voir la dépouille de Chazeron. Sa tête lui faisait mal et Philippus avait jugé plus prudent de lui administrer un sédatif.
    Albérie poussa la porte qui, malgré sa discrétion, grinça lamentablement, dressant l’oreille de Ma.
    Comme elle, la louve était couverte de plaies, mais aucune n’avait été assez profonde pour l’empêcher de rejoindre les enfants. Constant s’était finalement couché près de Marie sur la courtepointe du lit, et c’est le col de Ma qu’il entourait de ses bras. Recroquevillée en boule contre eux, on ne devinait de la jouvencelle que l’épais bandage qui entourait son visage.
    — Tout va bien ? Chuchota Albérie.
    Les yeux de Ma clignèrent. Ils brillaient d’un sentiment de quiétude et de bonheur. Albérie referma la porte et s’éclipsa, mue par d’anciens gestes. Il y avait si longtemps qu’elle n’avait descendu cet escalier. Il sentait la crasse au lieu de la cire, la sueur d’hommes qui avaient transféré leurs quartiers dans le logis, le jugeant plus confortable que la tour carrée, massive.
    Montguerlhe avait perdu ses fonctions. Elle y avait veillé en empoisonnant son eau.

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