La vengeance d'isabeau

les yeux et mourut pour la seconde fois.
     
    Il se retirait d’elle lorsqu’un cliquetis se fit entendre, apporté par l’écho. Il grogna et la releva en l’agrippant par le bras. Sans résistance, Isabeau se laissa emmener. Se servant d’elle comme un bouclier, il se fraya un passage au milieu des cinq hommes. Dans la lueur des torches, le corps nu d’Isabeau brillait comme une injure à la monstruosité de Chazeron.
    Elle accrocha l’air effaré de Philippus et sut qu’il avait compris. Elle lui sourit. L’heure était proche.
    — Laissez-nous passer, Huc, articula-t’elle d’une voix étouffée par les doigts qui lui enserraient à présent la gorge.
    — Faites ce qu’elle dit, insista Philippus.
    Jean, Constant et Bertrandeau s’écartèrent. Isabeau devina la colère de Jean à son regard sur son ventre. C’est alors qu’elle en sentit la morsure. Mais il était trop tard. Elle avait fait son choix et ne regrettait rien.
    Soudain, Chazeron hurla et la lâcha pour porter ses poings en arrière. Isabeau prit conscience qu’ils tournaient le dos à la chambre mortuaire. Le cri de Constant rejoignit le sien. Marie fut projetée avec violence contre un rocher, tandis que le monstre arrachait la vieille lance qu’elle avait fichée dans ses côtes.
    Profitant de cette diversion, d’une même enjambée, Huc et Jean entraînèrent Isabeau hors de portée tandis que Constant hurlait à Bertrandeau :
    — À mort la bête !
    Chazeron détala à quatre pattes et les distança dans le dédale des souterrains, jusqu’à ce que deux louves, regards haineux et crocs retroussés, lui barrent le passage. Il hésita un instant à rebrousser chemin, puis se redressa et leur fit face, les griffes en avant.
     
    La cape de Philippus drapée sur sa nudité, Isabeau se pencha au-dessus de Marie, inconsciente. Sous sa tête, un filet de sang tachait le rocher. Philippus sortit de son escarcelle un flacon de liqueur et en fit couler quelques gouttes sur ses lèvres blanches. La jouvencelle toussota puis ouvrit les yeux.
    — Ne te redresse pas surtout, exigea Philippus. Tourne la tête lentement.
    Il examina la plaie. Elle n’était que superficielle et un sourire franc rassura Isabeau.
    — Une jolie bosse et une belle frayeur, conclut-il en tendant à Isabeau sa fiole.
    Elle en versa aussitôt une giclée sur la plaie, faisant grimacer la blessée.
    — Et Chazeron ? demanda Marie tout à fait réveillée à présent.
    — Les autres le pourchassent. Il n’ira pas loin. Cesse de bouger, l’enjoignit Isabeau. Il faut panser cette blessure. Et plus un mot !
    Philippus déchira un pan de sa chemise et, tandis qu’Isabeau s’éloignait, entreprit de bander la tête de Marie.
    Revenue dans la pièce où elle venait de jouer la vie des siens, Isabeau ramassa ses vêtements et, faisant glisser de ses épaules la cape, se rhabilla sans remords. Sa tête bourdonnait un peu et du sang perlait encore sur sa joue à l’endroit de la gifle, mais elle n’avait pas mal. Chazeron l’avait prise, mais il ne l’avait pas violée. Elle s’était offerte. Et s’il le fallait, elle recommencerait. Avant de quitter la pièce pourtant, elle concentra toutes ses forces en une seule prière et murmura pour l’ombre complice :
    — Seigneur Dieu, faites que je sois engrossée.
     
    Constant avait beau balancer sa torche de droite et de gauche dans l’étroitesse du boyau, il ne voyait que trois corps entrelacés en un ballet macabre, sans pouvoir distinguer qui avait le dessus. Aucun d’eux n’osait intervenir tant tout était confus. Parfois, Chazeron se dressait, parfois, il se roulait à terre, harcelé par la haine des deux louves. Cela dura, dura encore. Les pelages mouillés de sueur, de bave et de sang brillaient sous l’éclat des flammes.
    Puis Chazeron resta à terre. Un instant encore les louves s’acharnèrent sur lui, excitées par leur victoire. Enfin, elles s’écartèrent. Jean et Constant s’approchèrent, coutelas au poing. Jean posa ses doigts à la base du cou et sentit la vie s’échapper au rythme irrégulier et ralenti du pouls.
    Lorsqu’il n’y eut plus rien, il se tourna vers les louves qui mutuellement léchaient leurs blessures.
    — Il est mort, annonça-t-il.
    — Qu’il brûle en enfer ! Maugréa Constant.
    Et, les plantant là, il partit en courant s’enquérir de Marie.

12
     
     
    Il était là. Cadavre immobile et éventré dans toute sa monstruosité. Posé comme