La véritable histoire d'Ernesto Guevara
« pur ». C’était, sans doute aucun, quelqu’un d’exigeant pour les autres comme pour lui-même, qui ne voulait rien de plus que ce à quoi tout le monde avait droit et refusait les avantages que sa position lui permettait d’obtenir ; une telle fermeté morale n’a d’ailleurs pas peu contribué à la multiplication des éloges à son endroit et à l’élaboration du halo mythique qui l’entoure.
Pur à la folie
La préface de l’écrivain communiste Robert Merle aux Écrits de Guevara montre jusqu’où ces éloges peuvent aller. Elle exalte la pureté, l’idéalisme, le sens de l’éthique de Guevara. Elle incite à admirer l’homme qui abandonne les couloirs ministériels pour de « nouveaux horizons : Il se dépouille […]. Comme le saint qui décide de mourir au monde afin de pouvoir naître à Dieu, il arrache, un à un, de lui-même, tous ses biens terrestres et il éprouve presque de la joie à cet arrachement 96 . »
Certes, il est des admirations venimeuses : Merle, fidèle, à cette époque, à la ligne communiste (donc soviétique), opposait le « style sobre et réaliste des révolutionnaires marxistes » au « romantisme » et à l’« idéalisme » des révolutionnaires latino-américains du type Guevara. Ce n’est peut-être pas tout à fait une proposition d’exclusion, mais cela y ressemble !
Pur, il l’est en effet, et passionnément.
Guevara nous ramène à l’opposition, chère à Marx, entre ce qui est vieux en nous, et dont les bases doivent être détruites, et ce qui est nouveau et victorieux de l’aliénation quand enfin, débarrassé de tout individualisme, nous accédons à la conscience totale de notre être social. Cet oubli de tout ce qui me spécifie et me particularise, ne mérite guère de susciter l’enthousiasme 97 … Pourtant, Guevara était tout entier dans cette opposition comme le montrent de nombreuses anecdotes qui se racontent sur lui.
Celle des cigarettes « Tejas », par exemple. Comme ses responsabilités politiques et la place qu’il occupait dans la révolution n’étaient pas très claires, Guevara était un homme avec qui l’on pouvait espérer avoir des informations ou en faire passer. Le faux journaliste Alexeiev (il allait devenir ambassadeur de l’URSS à Cuba) lui rendit ainsi visite à La Havane dans les tout premiers temps de la révolution. Les deux hommes évoquèrent la situation au cours d’une discussion informelle. Mais, si Alexeiev avait oublié que pour le Che l’idéologie était toujours au poste de commande, il se vit rapidement rafraîchir la mémoire. Voulant, pour lui faire plaisir, offrir à Guevara une cartouche de cigarettes venues d’Argentine, des cigarettes appelées « Tejas » (Texas), Alexeiev vit le Che bondir sur son siège et s’adresser à lui, furieux. Ne savait-il pas, lui qui venait d’un pays révolutionnaire, que le Texas représentait presque la moitié du Mexique et que les impérialistes américains avaient volé cette terre-là aux Mexicains ? Il n’était pas question pour lui de fumer ça !
Quelques mois plus tard, il accueillit son frère qu’il n’avait pas vu depuis des lustres. Alors que la rencontre prenait un tour détendu, il lui répondit qu’il n’était pas là pour plaisanter et lui reprocha de travailler – il était conseiller juridique pour un bureau des affaires sociales de la marine argentine 98 – dans une entreprise qui servait la domination impérialiste…
Quand son père vint le voir, il lui fit payer sa nourriture et son essence. Et l’on se souvient de la brutalité avec laquelle il interdisait à sa femme tout cadeau, tout avantage, quelles que fussent les circonstances…
À pureté, pureté et demie
Une dernière anecdote, à deux volets pour ainsi dire, a été reprise dans une scène du récent film de Soderbergh sur sa vie. Elle éclaire la psychologie et ce qu’on peut appeler le système moral de Guevara : ce dernier interdit à de jeunes combattants – les rebelles étaient presque à la veille de leur entrée dans La Havane – de s’emparer de véhicules privés pour rejoindre la capitale. Le Che jugeait leur apparence trop luxueuse et décida qu’ils devraient monter comme les autres dans les camions, les Jeeps ou les blindés de l’armée rebelle – non sans avoir laissé derrière eux les forces d’un autre mouvement révolutionnaire, le Directoire révolutionnaire étudiant, qui avait pourtant
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