La véritable histoire d'Ernesto Guevara
combattu à ses côtés pour s’emparer de Santa Clara.
L’injonction sur les moyens de transport, son puritanisme, son sens de la discipline, sa volonté d’éliminer toute satisfaction individualiste sont bien du Che lui-même. Mais la manœuvre qui vient en second, et qui consiste à « doubler » des concurrents, sans doute pas. Elle est plutôt de Fidel Castro qui pousse ses pions pour s’emparer de tout le pouvoir. Remarquons que cette attitude ne posait cependant aucun problème à Guevara. Il n’en avait pas eu l’initiative, et sa « pureté » s’accommodait fort bien du machiavélisme de son chef. De même poussera-t-il, en accord avec Castro ou sur les ordres de celui-ci, le Directoire étudiant hors du palais présidentiel à La Havane dans les premiers jours de janvier 1959. Le M 26, l’organisation castriste, voulait le pouvoir pour lui seul. La lutte politique existait. Elle demandait parfois de la violence, parfois des ruses. Et c’est sans gêne aucune que Guevara déclarait aux journalistes qui l’assiégeaient et s’inquiétaient de la nature du régime qui allait être mis en place, que « traiter de communistes tous ceux qui refusent de se soumettre était un vieux truc des dictateurs : le Mouvement du 26 juillet était un mouvement démocratique 99 ». Fidel lui avait dit de ne pas provoquer les peurs. Il voulait apaiser, ne pas brandir les convictions marxistes des uns et des autres. Fidel lui demanda de l’attendre (il parcourait l’île lentement pour asseoir son pouvoir et peaufiner son image de leader), et le Che l’attendit. Mais ce n’est pas sa manière. Taibo II, le plus souvent admirateur de Guevara, fait justement remarquer que celui-ci sembla, en ces premiers jours de janvier, « idéologiquement déconcerté, peu clair, comme s’il se censurait devant la presse ». Guevara, dit-il, « ne trouvait pas sa place dans cette victoire ».
Ces manœuvres – un jour un petit « coup tordu » pour assurer la domination du M 26 sur les autres groupes, un autre jour les allusions à la démocratie et les élections à venir, lui pesaient : « On temporisait, tout cela pour maintenir une unité qui ne fut jamais bien comprise. Ce fut le péché de la Révolution », affirmera-t-il, plus tard 100 . Mais le bon soldat de la Révolution, en lieutenant fidèle de Castro, en serviteur zélé de l’Histoire, il s’exécutait. Si sa pente était d’éviter tout recul, tout détour, tout calcul, il se soumit finalement toujours à Castro comme à celui qui énonçait la Loi. Comme le dit un témoin oculaire, José Ignacio Rasco, Guevara n’osa jamais affronter Fidel de face. « À la fin, il cédait toujours devant Castro 101 . »
Déjà dans la Sierra, il avait manifesté son inquiétude dès qu’il avait été question de compromis, d’accords avec d’autres forces politiques. Guevara a toujours eu du mal à comprendre les replis tactiques, les temporisations, les infléchissements conjoncturels, les alliances ponctuellement nécessaires pour mieux ensuite abattre un ancien allié. Guevara s’était par exemple alarmé de possibles contacts du mouvement castriste avec l’ambassade américaine à La Havane… Il fut de même réticent devant un Manifeste de la Sierra Maestra, signé par Castro avec certains politiciens hostiles à Batista. C’étaient des bourgeois libéraux peut-être mais surtout anticommunistes… À leurs conceptions de la réforme agraire, beaucoup trop timides, il opposait la « volonté du peuple » qu’il pensait savoir interpréter, et affirmait que « ce serait la tâche des masses paysannes organisées d’imposer la loi qui interdise les latifundia 102 ».
Il ne comprenait pas qu’il faille, comme Castro y parvenait si bien, désarmer idéologiquement l’ennemi et le démoraliser, comme, par exemple, en faisant venir Herbert Matthews, célèbre journaliste de gauche, compagnon de route type, capable d’écrire sous le charme d’une interview : « Castro a de fortes idées sur la liberté, la démocratie, la justice sociale, le besoin de restaurer la Constitution et la tenue d’élections. » Castro savait qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ni les entrepreneurs qui aident les rebelles avec des promesses d’étatisation de leur entreprise ! On n’en parla donc pas quand Guevara aurait aimé, lui, l’annoncer haut et fort.
Castro et Guevara étaient en fait d’accord sur le
Weitere Kostenlose Bücher