La véritable histoire d'Ernesto Guevara
plaignent du sang versé et de celui qui serait versé au cas où il y aurait trois ou quatre Vietnam »… Un journal de Budapest parlera même de lui comme une « figure pathétique » et « irresponsable ». Furieux, le Che notera dans son Journal de Bolivie : « Comme j’aimerais arriver au pouvoir, rien que pour démasquer les lâches et les laquais de tout poil et leur mettre le nez dans leur merde ! »
Calculs stratégiques et blocages psychologiques
Si Fidel Castro semble bien avoir sacrifié Guevara sur l’autel de la sécurité de Cuba et le maintien incontesté de son pouvoir, Guevara, lui, gagnait-il quelque chose à son silence ? Était-il même capable de formuler une critique devant l’homme qui l’avait adoubé, lui permettant de passer de l’adolescence à l’âge adulte ? Guevara encaissa sans mot dire le procès d’Huber Matos. Il encaissa la réconciliation soviéto-castriste après octobre 1962 et la crise des fusées. Il encaissa l’engueulade de Fidel après sa mise en cause des rapports entre les Soviétiques et le tiers-monde, et son escapade chinoise. Il encaissa tout. Et n’eut d’autre solution que de quitter Cuba. Même Robert Merle écrit, dans son avant-propos à l’édition française des Écrits révolutionnaires, que Castro « dut déplorer la franchise brutale avec laquelle le “Che” avait exposé ses thèses, et la coloration qu’il leur avait donnée. À la suite de cette algarade, le “Che” déchiré, eut l’impression [ sic ] pénible qu’il avait échoué sur toute la ligne, à Cuba dans sa tâche d’économiste, à Alger dans sa mission de diplomate 94 . »
L’homme qui n’osa pas ruer dans les brancards
Le malaise de Guevara en 1964 et 1965, face à l’URSS et au type de « socialisme » qu’elle défendait, pour profond qu’il fût, venait trop tard. Au lieu d’étudier le monde socialiste avant de se lancer dans son imitation, il s’était construit un mirage, et autour du mirage il avait réfléchi à la manière d’y parvenir. La beauté du monde à venir justifiait la violence avec laquelle il fallait chasser l’ancien monde. C’est pourquoi Guevara appréciait Staline. C’était en 1963-1964. Cela faisait sept ans que le rapport Khrouchtchev avait été lu devant le XX e Congrès et, cette année-là, le monde entier lisait Une journée d’Ivan Denissovitch. Guevara, si romantique et si moderne, et si avide de lectures aussi, en était encore au temps de Staline et cherchait à vouloir implanter à Cuba les principes économiques qui étaient les siens : autosuffisance, priorité à l’industrie lourde et refus des stimulants matériels, alors qu’en URSS et dans les pays européens du « camp socialiste » on était sensible aux réflexions d’économistes comme le Soviétique Evseï Liberman ou le Tchèque Ota Šik… Dans le Daily Worker, le quotidien communiste britannique, il s’en était pris au « libéralisme » de Khrouchtchev 95 et aux expériences économiques qu’il laissait se développer. Lui, Guevara, était au contraire le gardien du temple de l’orthodoxie économique, il s’opposait aux expériences d’autogestion et prônait la centralisation… Il sembla se tourner vers les Chinois et les Nord-Coréens – avec leurs principes de compter d’abord sur leurs propres forces sans rien espérer du capitalisme ni de l’URSS et de ses prétentions à l’hégémonie.
Le Che n’était pas économiste. Mais c’est dans ce domaine qu’il apprit le mieux que l’URSS n’était pas telle qu’il se la représentait encore en 1959 et 1960. Les réserves de cette dernière à l’égard de la lutte armée, son « recul » lors de la crise des missiles d’octobre 1962, allaient jouer un rôle dans cette dépréciation du camp soviétique. Ce sont les analogies qu’il relève avec le monde occidental – qui s’en tenait pour l’essentiel à un rapport marchand là où Guevara rêvait de rapports fraternels – qui l’amèneront à l’accusation de complicité de l’URSS avec l’impérialisme et à sa tentation « chinoise » de 1965. Autant dire à son arrêt de mort.
VII
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Un idéaliste amoureux du genre humain ?
« Il gardait en mémoire ses compagnons de jeux d’enfance,
pauvres et misérables, comme ces familles indiennes
entassées dans des logements de fortune. »
Olivier Besancenot, Michael Löwy
O n fait trop souvent de Guevara un idéaliste, un
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