La véritable histoire d'Ernesto Guevara
peur de mourir, si nécessaire, peut surpasser une armée régulière disciplinée et la vaincre. » Très vite, ces belles perspectives sont mises en œuvre après la prise de pouvoir à Cuba et il participe à la mise en place de la DGI, la Direction générale de renseignement, qui a pour tâche de mener la révolution hors des frontières, en organisant, en entraînant, en aidant, les guérillas étrangères. Naturellement, Guevara, comme Fidel Castro, jure la main sur le cœur qu’il n’exporte pas la révolution, mais seulement les idées de la Révolution. À la guerre comme à la guerre : l’ennemi ne mérite que le combat. Pourquoi ne pas lui mentir ? Le problème aurait dû se poser pour lui du sens de l’échec de toutes les tentatives qui suivirent. Fallait-il tenter une autre voie, au moins de manière complémentaire, celle des échanges, du dialogue, des relations diplomatiques, de la lutte politique ? Mais Guevara est toujours resté persuadé que la révolution castriste était un modèle non seulement pour l’Amérique latine mais pour l’Asie et l’Afrique et que, si échec il y avait, il était dû d’abord à l’insuffisante détermination des combattants révolutionnaires, à leur insuffisant esprit de sacrifice. Le monde ne serait délivré de l’impérialisme que par des combattants ignorant la mort, ou plutôt prêts à la recevoir.
Ainsi, les choses étaient transparentes. Il fallait, avec esprit de sacrifice, accepter de se salir les mains pour construire un monde heureux et juste. Et à qui lui rétorquait qu’il s’agissait d’une utopie, qu’on ne saurait asseoir la justice sur des moyens parfaitement injustes et discutables, comme l’osa en face-à-face un architecte qui voulait construire avec lui et pour lui la nouvelle Banque nationale de Cuba, le Che ne laissait, en guise de réponse, que ce choix : quitter Cuba, « prendre » 30 ans de prison après un procès vite expédié ou être fusillé par un peloton d’exécution. La situation de classe de l’architecte en question suffisait à ses yeux pour le condamner et les conceptions morales dont il se réclamait – qui lui permettaient, croyait-il, de « parler la tête haute » même s’il était né avec une cuillère d’agent dans la bouche – comptaient bien peu pour Guevara 103 .
IX
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L’Homme nouveau
« Guevara, l’être le plus complet de notre époque »
Jean-Paul Sartre
L ’Homme nouveau n’est évidemment pas une invention d’Ernesto Guevara. Ce mirage se perd dans la nuit des temps et le mouvement communiste n’a fait que le revivifier. Mais, s’il occupe une place centrale parmi ses réflexions, c’est qu’il est au cœur de ses tentatives de se défaire de ses propres contradictions, d’effacer ce père qui le fut trop peu et auquel il trouva un substitut cubain, Fidel Castro.
Une affaire intime
Bien sûr, l’Homme nouveau, cet être des lointains, est un rêve, un mirage, y compris pour le Che, et d’autant plus difficile à atteindre que Castro n’a jamais fait que se prêter à la solution des problèmes de l’Argentin, à son profit à lui, Castro, et à ceux de la révolution cubaine qu’il voulait voir triompher. Plus réaliste que le Che, Castro ne se donnait qu’à lui-même.
L’Homme nouveau, pour Guevara, c’est l’homme qui ne traîne pas le boulet d’un passé compliqué, c’est l’homme d’une autre vie, où les contraires ne se côtoient plus, ni la force et la faiblesse, ni l’égoïsme et l’altruisme ni le courage et la peur. Une vie qui – le voyait-il ? – n’est plus la vie tant elle est absolue. L’Homme nouveau, c’est sa propre mort.
Tel le soleil qu’on ne peut regarder de face, Guevara cherchait pourtant à l’entrevoir, non comme issue à ses problèmes personnels – ces choses-là ne s’avouent pas facilement –, mais à une problématique sociale et politique, voire philosophique : comment atteindre le communisme, où fleurira l’Homme nouveau, s’il n’apparaît déjà pour hâter l’avènement de cet au-delà ? Une fin parfaite peut-elle s’atteindre par des moyens imparfaits ? Les conditions matérielles déterminent-elles la conscience ou faut-il une conscience non déterminée pour révolutionner les conditions matérielles ? Avec l’Homme nouveau, ces questions deviendraient obsolètes.
C’est ainsi que l’Homme nouveau est devenu un concept donnant la solution de casse-tête théoriques,
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