La véritable histoire d'Ernesto Guevara
fond, et le compromis signé avec les opposants modérés à Batista fut bientôt rompu. Question d’opportunité et de conjoncture ! Au début de 1958, Guevara en fut si soulagé et même si heureux qu’il promit à Castro « la gloire d’être un des deux ou trois leaders d’Amérique qui prendront le pouvoir les armes à la main » !
Tout perdre pour tout prendre
En fait, il n’y a pas de quoi se pâmer devant la « morale » du Che. Dans le combat politique, elle n’avait pas l’efficacité des ruses de Castro et l’état d’esprit qu’elle reflète doit-il toujours inspirer le respect ? L’aspiration à la sainteté peut être un chemin subtil vers l’acquisition de ce qu’il y a de meilleur. On se dépouille, sans doute, mais pour gagner par là le ciel. Et l’on s’oublie dans la lutte révolutionnaire parce que c’est la voie royale qui mène au pouvoir. N’être rien pour avoir tout. Pureté tactique en somme et avidité stratégique. Et qu’a fait d’autre Guevara pendant ces dix ans de lutte, des débuts de la guérilla dans la Sierra aux embuscades finales dans la forêt bolivienne, sinon régler leur compte à ceux qui l’empêchaient d’avoir tout ?
Guevara ne se dépouille pas : il veut tout, comme dirait Besancenot. Non seulement le socialisme à Cuba, mais au Congo, en Bolivie, en Argentine, et dans le monde entier. Castro préparait, dès la Sierra, les combats ultérieurs contre l’impérialisme américain, Guevara lui faisait écho : « La Révolution n’est pas limitée à la nation cubaine et, par conséquent, elle n’est pas finie. Nous en sommes au premier chaînon de toute une série de révolutions. »
« Constatait-il » là une nécessité politico-historique ou annonçait-il un programme qu’il essayait de remplir de manière volontariste ? Il n’importe : une telle déclaration, quel que soit son sens exact, annule l’image sulpicienne du Juste trahi et mis à mort. Guevara est parti à la conquête du sud de l’Amérique. Dès 1959, des tentatives sont lancées depuis Cuba contre Panamá, le Nicaragua, Haïti, le Paraguay. Au début des années 1960, des guérillas sont armées par Cuba au Guatemala, au Venezuela, en Argentine. En 1967, c’est la Bolivie qui est choisie, d’abord pour sa centralité dans le cône sud. C’est de la stratégie sur une mappemonde, une stratégie grossière qui fait fi des détails. Une stratégie mise en œuvre par un entêté qui avait déjà tenté en Afrique la même opération avec le succès que l’on sait. Après la Bolivie, il pensait à l’Argentine, au retour au pays. Et à Papa-Maman, si fiers de lui, chef d’une armée, nouvel énonciateur de la Loi. La place du Père enfin, après une longue lutte armée. Guevara en effet ne s’intéresse pas au genre humain de son temps, mais aux obstacles humains d’aujourd’hui qu’il faut éliminer pour entrer dans l’humanité de demain.
Une morale clivée
Difficile de parler de sainteté, même laïque, avec Guevara. Sans doute veut-il enseigner à la jeunesse cubaine le travail, l’étude, la solidarité permanente avec le peuple et tous les peuples du monde, et il souhaite qu’elle aiguise sa sensibilité au point de ressentir de l’angoisse quand on assassine un homme quelque part dans le monde. Mais ne nous y trompons pas : son internationalisme est « prolétarien », sa lutte pour plus de justice, « anti-impérialiste », et son idéal de société, communiste. Un patron, un impérialiste supprimé, c’est un pas vers la « libération ». Un guérillero tombé sous les balles d’une armée régulière, voilà l’assassinat. Guevara s’en tient aux schémas léninistes : est Bien ce qui sert la Révolution. Mal, ce qui s’y oppose. Est bien mon adhésion corps et âme au mouvement révolutionnaire. Et mal toute existence particulière, taxée d’ « égoïste » et « individualiste ».
Uniformité du monde
Cette vision manichéenne du monde est sans doute partagée par Castro, mais, chez Guevara, l’opposition, la confrontation dominent toute autre considération. L’esprit de système, dans sa vision politique, l’emporte au point de croire que les particularités de situation ou de conjoncture sont tout à fait secondaires et que ce qui a marché à Cuba doit marcher ailleurs, en tout cas dans le tiers-monde : « Nous avons démontré [ sic ], dit-il, qu’un petit groupe soutenu par le peuple et sans la
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