La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
l’époque fait largement appel à la
langue parlée, à celle du peuple ou encore à celle
de la bonne société. Les conteurs, les professionnels du théâtre, les joueurs de marionnettes ou
d’ombres chinoises sont les auteurs d’un très
riche répertoire d’histoires fantastiques, de
contes bouddhiques, de petits romans policiers
ou de récits romancés qui ont pour cadre
l’Antiquité, la période dite des Trois Royaumes,
au III e siècle de notre ère, ou encore des époques
plus récentes, comme celle des Cinq Dynasties
( X e siècle).
Quelques-uns des livrets dont se servaient les
conteurs de l’époque des Song nous sont parvenus. L’un retrace la triste fin de l’empereur
Huizong, le dernier souverain des Song du
Nord, sa captivité et sa mort en Mandchourie.
Tel autre est l’ancêtre d’un célèbre roman de
l’époque des Ming qui relate le voyage du pèlerin Xuanzang en Inde, au VII e siècle, accompagné du Singe magicien. Ces contes sont en
langue vulgaire (la récitation étant peut-être
soulignée par un petit accompagnement musical), mais ils comportent aussi des passageschantés, en vers, chaque fois que la poésie
semble mieux appropriée aux circonstances, et
par exemple, pour la description d’une jolie
femme ou d’un paysage, ou encore lorsque l’action atteint une intensité particulière 20 .
La mode des recueils d’anecdotes, déjà très en
vogue à l’époque des Tang, s’est affirmée sous
les Song. Ces ouvrages dont l’imprimerie a permis la diffusion groupent des séries de brèves
histoires, étranges ou fantastiques pour la plupart, mais qui ont toutes eu des témoins. Le nom
des personnes, les lieux, les dates sont donnés
avec exactitude. Voici quelques spécimens de ce
genre littéraire :
Dans un village du Jiangxi, un géant noir de
plus de trois mètres de haut pénètre dans une
maison, s’assoit sans rien dire et reste muet à
toutes les questions qu’on lui pose. Mais il est
impossible de le déloger. Les domestiques lui
administrent des volées de coups de bâton. Ils
cherchent à le piquer avec des lances ; le fer se
recourbe sans entamer la peau. Ils l’ébouillantent avec de l’eau chaude. Rien n’y fait, et le
géant n’a même pas l’air fâché. Le maître de la
maison songe alors à donner l’alarme en frappant sur son tambour (chaque maison, dans cette
région, possède en effet un tambour destiné à
rassembler les villageois en cas d’attaque de brigands), le tambour ne rend aucun son. Voyant
que la violence n’a pas de succès, il fait l’essaide la persuasion. Il se prosterne à terre et supplie
cet hôte si encombrant de déguerpir. Mais c’est
comme s’il chantait. Enfin, le géant, las sans
doute d’être assis, s’ébranle et se met à parcourir
lentement toute la demeure, la cour, la porcherie.
Il fait sauter les serrures des coffres où sont renfermées toutes les richesses du maître des lieux.
Le soir tombe, et le géant est toujours là. On
veut allumer les lampes, elles ne prennent pas.
Alors, toute la maisonnée se sent prise de terreur, s’enfuit dans la montagne et s’y réfugie
dans un temple. Elle y fait procéder à des cérémonies taoïstes et demande aux religieux d’envoyer un placet au Ciel. Enfin, au bout de sept
jours, le mauvais génie disparaît. Mais, à partir
de ce moment, le maître de maison dépérit et
tombe, pour finir, dans la plus grande misère 21 .
Les rêves prémonitoires sont un thème assez
fréquent de ces petites anecdotes :
Au moment de l’invasion barbare de 1126, un
paysan, qui a beaucoup lu (ce qui explique les
connaissances historiques dont la suite de l’histoire fera état), fait un cauchemar. Il s’éveille
plein d’effroi et assure à son épouse que sa dernière heure est venue. En effet, il vient de rêver
qu’il rencontrait dans la campagne sept cavaliers. L’un d’eux, vêtu de blanc et monté sur un
cheval blanc, s’était adressé à lui avec colère, lui
tenant à peu près ce langage : « Lors d’une de
tes vies antérieures, à l’époque des Tang, tu étaisle soldat un tel et tu m’as tué. Maintenant que je
te tiens, tu dois expier. » Il avait bandé son arc et
l’avait atteint au cœur. L’épouse cherche à calmer ses craintes : comment ajouter foi à des
rêves nocturnes ? Ce ne sont que fantaisies, imaginations ! Mais l’effroi de l’homme ne fait que
croître. Il se lève avant l’aube et décide de se
rendre chez un parent, à
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