La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
compagnons et, au bout de
deux mois, il atteignit les côtes du Fujian. La
police de l’endroit, pensant avoir affaire à des
contrebandiers, envoya des gardes à bord du
bateau et le fit amener à la sous-préfecture
urbaine de la ville de Fuzhou. C’est alors, dit
notre auteur, que j’ai pu voir ce bateau. Il était
fait d’un grand tronc d’arbre équarri et n’avait
pas d’autre ouverture qu’un trou par lequel on
pouvait entrer et sortir. A l’intérieur, se trouvait
une niche étroite où vivait la femme. Les deux
hommes étaient ses frères. Ils avaient pour vêtement un simple pagne de toile dont ils s’enveloppaient le corps et un bandeau qui maintenait
leur chevelure. Ils étaient nu-pieds. Quand on
leur offrit à boire, ils s’agenouillèrent, touchèrent
le sol de leurs mains en signe de salut et burent
leur tasse d’un seul trait. La femme avait les
dents blanches comme neige et de très jolis
yeux. Cependant, ajoute notre auteur, sa peau
était légèrement foncée 24 .
Moyen d’action et de persuasion, forme d’expression allusive mais efficace, la poésie fait
partie en Chine de la vie quotidienne, et, bien
qu’elle soit un des arts spécifiques du lettré, elle
est l’objet d’une sorte de vénération dans de très
larges couches de la société. Même avant la diffusion de l’imprimerie, au IX e siècle, des copies
des œuvres des plus célèbres poètes de l’époque
circulaient sur les marchés et servaient à payer
les achats d’alcool et de thé. A Hangzhou et
dans la ville voisine de Shaoxing, ces poésies
avaient été gravées en fac-similé sur des dalles
de pierre, afin que l’on pût en faire des estampages 25 . A l’époque des Song, les anciens genres
poétiques restent cultivés : poèmes réguliers de
cinq ou sept caractères d’écriture par vers,
longues descriptions lyriques et savantes. Mais,
en même temps, la vogue de plus en plus grande
de la chanson, de genre mi-populaire et mi-savant, provoqua l’apparition et le développement d’un nouveau genre poétique.
Les poètes en Chine n’ont pas eu à tordre le
cou de l’éloquence. Le chinois est naturellement
concis et procède, non par liaisons logiques,
mais par juxtapositions. Aussi notre langue,
mieux faite pour la démonstration et le raisonnement, est-elle très mal adaptée à rendre une
poésie aussi dense et allusive que celle de la
Chine. Il y a plus : ni le rythme, ni les tons musicaux du chinois, ni la beauté graphique despoèmes ne peuvent être conservés dans une traduction. Mais, puisqu’il faut bien donner
quelques exemples, voici des poèmes des XII e et XIII e siècles qui aideront peut-être à comprendre
la sensibilité poétique de l’époque (le titre de
chaque pièce en donne le thème) :
On entend un marchand de poissons
et légumes derrière le mur, dans la neige.
Son cri exprime une souffrance extrême.
(Le poète, dans sa demeure qu’entoure
un mur continu à hauteur d’homme, ne voit
pas le personnage qu’il décrit, mais l’imagine
d’après son cri modulé et plein de tristesse.)
Il se presse avec ses paniers. Il n’a pas de temps à
perdre.
A chaque pas, jusqu’à mi-jambe dans la neige, des
glaçons dans la barbe : il a une bonne résistance au
froid.
Pas question qu’il reste assis à ne rien faire derrière
sa porte.
Passe encore d’endurer le froid. Mais la faim ? Le
pourrait-on ?
Sur le même thème :
Que dit sa complainte ? Que le moindre boisseau de
riz vaut une fortune.
Et son cri est pareil à ceux du moineau gelé, du corbeau affamé.
Quelles épreuves pour que la vie t’ait mené là !
Mais, au fond de toi, que penses-tu du destin 26 ?
(Fan Chengda, 1126-1193.)
Certains poèmes visent à la satire sociale,
comme ceux de Liu Kezhuang (1187-1269) dont
le franc-parler causa la disgrâce :
Qu’il est douloureux d’avoir froid
Il est mauvais sur les frontières le vent d’automne,
Et nos habits, nos pelisses nous semblent minces,
à nous soldats de l’empire.
L’officier des vêtements viendra-t-il enfin ?
Ah ! ces longues nuits avec le froid des cuirasses qui
nous empêche de dormir !
Mais, à la ville, ils sont nombreux les mandarins-bien-au-chaud.
Le soleil est déjà haut dans le ciel que leur porte
vermeille n’est pas encore ouverte.
Une succession de tentures et de rideaux les isole du
monde extérieur.
Pris de vin, ils ne savent pas le froid qu’il fait dehors 27
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