La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
entre 1250 et 1276.
Cette poussée démographique si continue n’est
sans doute pas particulière à Hangzhou, mais
elle est commune à toutes les villes importantes
des provinces du Sud-Est. Ce phénomène urbain
traduit très probablement un déséquilibre de plus
en plus accusé entre les villes et les campagnes,
une profonde modification de l’économie et, par
là même, elle doit correspondre à une transformation de la société chinoise dans son ensemble.
L’état politique de la Chine aux époques antérieures au XI e siècle pourrait être schématisé ainsi :
les cadres dirigeants forment une très petite élite
dont le genre de vie, les conceptions et la langue
même sont uniformes. Ils sont tous imprégnés
de la même culture. Mais au-dessous de cette
mince pellicule, c’est la masse énorme et inorganique des peuples avec leurs coutumes, leurs
cultes locaux, leurs dialectes et leurs techniquesparticulières. Tous sans doute appartiennent à la
même civilisation, mais, malgré l’effort constant
des hautes classes pour uniformiser les mœurs et
les usages, les populations chinoises – et plus
particulièrement celles des campagnes – gardent
des caractères régionaux très accusés. Cette pluralité de régions et de provinces, qu’accentue
encore la présence d’importantes minorités non
chinoises dans certaines préfectures éloignées
des capitales, n’apparaît guère à cause de l’admirable organisation politique du monde chinois et de la centralisation administrative : elle
n’en est pas moins une des réalités historiques
les plus importantes. Mutatis mutandis , le
monde chinois jusqu’à l’époque des Song et
même encore, dans une large mesure, en plein XIII e siècle reste comparable à l’Europe médiévale où « l’Eglise était le seul dépositaire des
arts et des sciences et le latin le seul véhicule de
la pensée ; où seuls de barbares folklores singularisaient les peuples 1 ».
Si la structure générale de la société chinoise
tend cependant à se modifier du XI e au XIII e siècle,
c’est parce que de nouvelles forces sont à
l’œuvre. Entre l’élite dirigeante et la masse des
gens du peuple, une classe très diversifiée mais
très active est apparue et s’est fait place peu à
peu : celle des marchands. En même temps, l’opposition entre possédants et déshérités a pris, dans
un monde de plus en plus dominé par l’argent,une netteté qu’elle n’avait jamais eue dans le
passé, lorsque les élites des villes et les populations des campagnes étaient les seuls éléments
constitutifs de la société chinoise. Aussi le
monde chinois du XIII e siècle est-il beaucoup
plus complexe que celui des époques antérieures. La distinction traditionnelle entre peuples
et dirigeants tend à rejeter, comme autrefois, les
marchands du côté des gens du commun, mais
en même temps l’opposition, nouvelle dans son
acuité, entre le capital et le travail, entre les possédants et les classes défavorisées, rapproche
les marchands des élites. Pourtant, malgré ces
conflits, la société chinoise restera apparemment immuable jusqu’aux temps modernes.
L’apparence à vrai dire est trompeuse : les forces
nouvelles qui se manifestent à l’époque des
Song, entre le XI e et le XIII e siècle, corrompront
lentement le monde chinois sans amener sa
rénovation ; elles imposeront à la longue une
complicité de fait entre les élites dirigeantes et
les tenants de la richesse ; elles altéreront dans sa
nature le type du lettré-fonctionnaire. En ce sens,
l’époque des Song et plus particulièrement le XIII e siècle préfigurent en Chine les temps
modernes.
Le développement commercial de la Chine du XI e au XIII e siècle est contemporain d’un développement analogue en Europe. Cependant, la
vigoureuse poussée économique qui se produitalors en Chine est sans commune mesure avec
son correspondant occidental. L’importance du
mouvement commercial en Chine est en rapport
avec la population, la richesse, l’immensité et le
haut degré de développement technique de ce
pays. Les exagérations de Marco Polo, à la fin
du XIII e siècle, témoignent seulement de l’étonnement du voyageur occidental au spectacle
d’une activité commerciale beaucoup plus intense
que celle de Gênes ou de Venise à la même
époque. Pourtant, cette brusque montée de sève
dans l’économie de l’Europe et de l’Extrême-Orient n’eut pas ici et là
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