La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
les mêmes effets. Dans
une Europe morcelée en une multitude de juridictions et de pouvoirs, la classe marchande
s’imposa, fit reconnaître ses droits et se constitua dans son originalité. Des franchises et des
institutions urbaines apparurent ; ville et campagne furent opposées pour toujours et l’avènement d’une bourgeoisie qui préfigurait le tiers
état devait avoir les plus grandes conséquences
sur le destin de l’Occident. En Chine, malgré les
proportions gigantesques du phénomène, il n’y
eut jamais que des marchands enrichis. Comment
expliquer cette différence si complète dans
l’évolution de ces deux parties du monde ? En
Chine, une administration toute-puissante, centralisée, était déjà en place : toute tentative qui
eût menacé cette suprématie de l’Etat était inconcevable. Bien plus, l’Etat lui-même canalisa àson profit la puissante poussée économique de
cette époque : il se fit marchand et tira de ses
monopoles et des impôts sur les transactions privées l’essentiel de ses revenus. Ainsi put se perpétuer en Chine une forme de vie sociale
traditionnelle qui fut, par la suite, la principale
cause du « retard » de ce grand pays : le type de
relations familiales et parafamiliales qui fait du
monde chinois dans son entier un vaste réseau
de parentèles, où le seul genre de rapport connu,
imposé par les mœurs, la morale et les lois, est
celui d’obligé à bienfaiteur, de client à patron,
de serviteur à maître, devait rendre radicalement
impossible toute émancipation des individus et
des groupes sociaux.
LES HAUTES CLASSES
1. Les fonctionnaires civils
L’armature administrative du monde chinois
fut esquissée à la fin du III e siècle avant notre ère
par un corps de fonctionnaires choisis le plus
souvent en raison de leurs mérites et origines,
puis, à partir de la fin du X e siècle, à la suite de
concours. C’est là une des originalités de la
Chine. Cependant, cette institution si admirée
par l’Europe quand elle en eut connaissance au XVIII e siècle ne fut pas immuable : les modes de
recrutement, le nombre, les provinces d’origineet, dans une certaine mesure, la composition
sociale du corps des fonctionnaires ont varié au
cours des siècles et, à ces différents points de
vue, l’époque des Song (960-1279) marque un
tournant de l’histoire. En outre, l’image idéale
que le siècle des lumières s’était faite de la
constitution politique de la Chine est assez loin
de la réalité : les fonctionnaires civils ne sont
issus que d’un très petit nombre de familles lettrées qui fournissent traditionnellement à l’Etat
ses agents d’exécution. Et si les fonctionnaires
se montrent généralement de si zélés défenseurs
des intérêts de l’empire, c’est parce que la
défense de ces intérêts coïncide le plus souvent
avec celle de leurs prérogatives.
D’autre part, le caractère autocratique du pouvoir suprême, exercé par l’empereur, est une
cause d’instabilité et de corruption morale : aux
plus hauts échelons de la hiérarchie administrative, les disgrâces les plus complètes peuvent
succéder brusquement et de façon imprévisible
aux plus grandes faveurs. Le ministre ou le haut
conseiller qui s’est attiré l’inimitié de l’empereur
entraîne bien souvent dans sa chute tous ses protégés, petits et moyens fonctionnaires. La cour
est le centre d’intrigues continuelles ou de complots dans lesquels trempent assez fréquemment
des membres de la famille impériale, des impératrices ou des eunuques du gynécée. Enfin,
tempéraments individuels, traditions familiales,intérêts et relations, tous ces divers éléments
entrent en jeu et font de la classe des fonctionnaires un ensemble plus diversifié qu’on ne
l’imaginerait au premier abord. Des clans se
forment où s’expriment parfois des conceptions
politiques opposées. Sous les Song, partisans
de l’intervention contre les Barbares et partisans
de la paix achetée par des tributs, novateurs et
conservateurs se livrèrent une lutte acharnée et,
par leur violence, les oppositions qui se manifestèrent dans les milieux dirigeants constituent une
des nouveautés de cette époque.
Cependant, malgré ses vices, l’organisation
administrative de l’empire chinois est admirable.
En voici un bref aperçu. Le pouvoir suprême est
exercé par l’empereur aidé d’un conseil restreint
de trois à cinq ministres. Ce conseil qui
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