La ville qui n'aimait pas son roi
M. d’Ornano.
Rapidement, les nouvelles se précipitèrent. Le duc avait traversé la ville dans un cortège de ferveur populaire; le duc se rendait à l’hôtel de la Reine; le duc en était parti avec la reine mère; le duc s’approchait du Louvre!
Debout près d’une fenêtre, le roi regardait la Seine, plus exactement l’île aux Juifs où son ancêtre le Bel avait fait brûler Jacques de Molay. Que ne pouvait-il faire pareil avec Guise? songeait-il, le cœur gonflé par la honte de ne plus être respecté. Au bout d’un moment, sous les regardsde ses plus fidèles, il fit quelques grands pas pour se calmer. Il y avait là, à attendre ses ordres, le jeune Roger de Bellegarde,
premier gentilhomme de la chambre, François de Montpezat, le capitaine des quarante-cinq avec une dizaine d’ ordinaires , le colonel d’Ornano, M. de Villequier et son gendre le marquis d’O.
Henri III hésitait sur la décision à prendre. Le duc de Guise était seul, lui avait-on rapporté. Était-ce de l’inconscience de sa part, ou un excès de courage? À moins qu’il n’ait des intelligences dans le palais… Et s’il envisageait de frapper quelque coup hardi?
M. de Villeroy entra, le visage affolé.
— Le duc est dans l’escalier, sire!
— Mon bon ami, nous allons tout jouer, lui répondit le roi d’un ton posé. Dites-vous bien que ce qui est en question, c’est l’avenir des rois de ma race…
Il se tourna vers Alphonse d’Ornano pour ajouter, en s’efforçant de dissimuler sa rage :
— L’audacieux vient donc me défier jusque dans mon palais!
— Que Votre Majesté me donne le signal, et il ne le fera pas impunément, répliqua le Corse, la main serrée sur son épée tant il bouillait de rage.
Le roi eut un maigre sourire.
— À vôtre avis, capitaine Alphonse, si vous étiez à ma place, que vous lui eussiez mandé de ne pas venir, et qu’il n’en eût tenu aucun compte, que feriez-vous?
— Sire, tenez-vous M. de Guise pour votre ami ou pour votre ennemi?
À quoi le roi ne répondit ni par une parole, ni par un mot, ni même par une expression du visage. Ornano poursuivit donc rageusement :
— Sire, il me semble que je vois à peu près le jugement qu’en fait Votre Majesté. S’il vous plaît de m’honorer de cette charge, je vous apporterai aujourd’hui sa tête à vos pieds, ou bien je vous le rendrai en lieu là où il vous plaira d’en ordonner, sans qu’homme du monde bouge ne remue,si ce n’est à sa ruine. Et de ce j’en engage présentement ma vie et mon honneur entre vos mains.
— Il n’est pas encore besoin de cela, répliqua le roi 1 en s’approchant du fidèle colonel corse pour lui serrer la main avec effusion.
» Vous êtes un vrai serviteur, poursuivit-il, mais je vous demanderai d’attendre mon signal.
Entre-temps, le chancelier Cheverny et M. de Bellièvre étaient arrivés et on leur racontait à voix basse ce qu’avait proposé
Ornano.
— Sire, puis-je parler? intervint Villequier qui bouillait depuis l’invention du colonel corse.
Le roi se tourna vers lui, lui lança un curieux regard et hocha lentement la tête.
— Sire, je condamne la violente résolution de M. d’Ornano. Le duc de Guise arrive accompagné de cent cinquante mille Parisiens qui déjà remplissent la cour du Louvre. Votre mère va vous demander de le recevoir et s’il tardait à sortir, ces furieux pénétreraient ici, égorgeraient votre garde insuffisamment nombreuse et porteraient peut-être leur fureur jusqu’à vous…
Henri ne dit mot et s’approcha de la fenêtre donnant sur la cour où il resta un moment à considérer la foule rebelle qui grondait
des menaces à son égard.
Pendant ce temps, le duc de Guise montait les grands degrés 2 pour se rendre dans la salle haute. Le long des marches, les gardes françaises le considéraient sans aménité. En haut, leur
colonel, Louis de Crillon, refusa de le saluer tandis que le Lorrain le défiait du regard.
Cachant les craintes qu’il éprouvait sous une attitude bravache, le duc entra dans la salle pleine de courtisans. Il eut quelques
mots aimables à l’égard de ceux qu’il connaissait,mais tous se détournèrent en silence. Il resta un instant embarrassé jusqu’à ce que la reine mère le rejoigne, ayant rencontré
en chemin le duc et la duchesse de Retz.
Après avoir demandé où était son fils, Catherine de Médicis prit Guise par le bras et lui fit traverser la salle, puis
Weitere Kostenlose Bücher