La ville qui n'aimait pas son roi
commencerait le jeudi, précisait la lettre.
Bien sûr, Nicolas ne bougea pas, ignorant si ces convocations n’étaient pas des pièges et craignant trop un coup de poignard.
Néanmoins, sachant que le jeudi serait un jour décisif, il sortit discrètement de chez lui au moment où il y avait le plus
monde dans la rue et, vêtu en crocheteur, par des passages entre les maisons et des ruelles minuscules, il gagna la rue du
Marché-des-Blancs-Manteaux pour toquer à la seconde entrée de l’hôtel du marquis d’O, en espérant qu’il fût chez lui.
Il y était et le reçut. Nicolas lui raconta que tout commencerait jeudi.
— Monsieur Poulain, fit O avec un regard cruel. Sa Majesté a longtemps été indécise, elle ne l’est plus. Le roi a eu confirmation de tout ce que vous lui avez dit. Ce matin, il a fait renforcer la garde aux portes de la ville et autour du palais. Il y a eu conseil et j’ai obtenu qu’on fasse entrer en ville au moins vingt mille hommes dans les jours qui viennent. Sa Majesté a fait appeler M. de Biron pour commander les gardes françaises. Plusieurs régiments de gardes suisses sont en route. Les premiers entreront dans Paris demain matin et prendront position au cimetière des Innocents, au cimetière Saint-Jean et au marché Neuf. Dès que ce sera fait, je ferai saisir les plus archiligueux des bourgeois de cette ville qui seront remis aux mains des bourreaux pour servir d’exemple aux autres ligueurs.
— Et si, malgré tout, il y a émeute, monsieur?
— Je n’hésiterai pas à utiliser l’artillerie contre la populace. Il y a à l’Arsenal vingt couleuvrines et à l’Hôtel de Ville plus de deux cents fauconneaux et arquebuses à crocs 3 . Quant au Louvre, son artillerie est déjà en place. Les quatre compagnies de gardes du corps sont à leur poste ainsi que
les Suisses et les gardes françaises. En Normandie,M. d’Épernon, prévenu, rassemble dix mille hommes qui seront là sous quelques jours. Ceux qui auraient l’audace de se rebeller
en paieront le prix fort. Leurs maisons et leurs gens seront laissés à la troupe. Leurs femmes et leurs filles subiront les
outrages des soldats et leurs biens seront pillés.
— Mais monsieur, ce sera un épouvantable carnage, s’inquiéta Poulain.
— C’est le châtiment des mutins et des perturbateurs. Les ligueurs apprendront à leurs dépends que plus on remue l’ordure plus elle pue!
Poulain souhaitait la seule arrestation des chefs de l’union et désapprouvait le pillage aveugle et la ruine des familles
des rebelles, mais il rentra chez lui rassuré. Quand les troupes royales entreraient en ville, il ne doutait pas que le calme
revienne aussitôt. Les bourgeois de la Ligue étaient des couards, ils l’avaient suffisamment montré. Quatre mille hommes bien
armés, augmentés des trois mille gardes et gentilshommes du Louvre, tous expérimentés en guerre et munis d’artillerie, plus
tard rejoints par les dix mille hommes d’armes du duc d’Épernon, écraseraient la rébellion avant même qu’elle ne commence.
Ce cauchemar qui avait débuté trois ans plus tôt allait enfin se terminer.
1 Ces dialogues ont été rapportés par ceux qui y ont assisté.
2 Le grand escalier du Louvre.
3 L’arquebuse à croc, portée par deux serveurs, lançait des pierres. Le fauconneau était une pièce d’artillerie de six pieds
de long tirant une balle d’une livre et demie.
16.
Le jeudi 12 mai, comme tous les Parisiens, Nicolas Poulain fut réveillé par le bruit des tambours et des fifres des troupes.
En chemise de nuit, il se précipita à sa fenêtre.
La cavalcade s’étendait à perte de vue. C’était une compagnie de Suisses au complet, tous en armure avec piques et mousquets.
Il se sentit soulagé. Marguerite le rejoignit et le prit par la taille.
— Nous ne risquons plus rien?
— Plus rien, ma mie. Aujourd’hui le roi sera le maître. Guise a peut-être déjà pris la fuite.
Son beau-père frappa à la porte.
— Nicolas, un voisin est venu me dire que le roi s’est porté au-devant du maréchal de Biron entré dans Paris cette nuit par la porte Saint-Honoré. Les troupes prennent position partout dans la ville…
Tandis qu’il parlait, une cloche lointaine, assourdie, retentit, puis ce fut une autre, et une autre encore. Certaines sonnaient
le tocsin, d’autres le glas. Bientôt, le vacarme devint assourdissant, terrifiant. Les fifres des Suisses
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