La ville qui n'aimait pas son roi
jusqu’au cimetière des Innocents qu’ils virent occupé par
des centaines de Suisses. Il n’était pas six heures du matin. On leur dit que les soldats étaient arrivés en pleine nuit,
commandés par le marquis d’O. Il y avait au moins quatre compagnies et M. de Perreuse, le prévôt des marchands, avait ordonné
au guet bourgeois de se joindre à eux. Rassurés par cette démonstration de force, Olivier et Caudebec jugèrent qu’ils pouvaient
se rendre sans danger sur la rive gauche.
Dans l’Île, une compagnie de Suisses, mousquet sur l’épaule, était rangée devant l’Hôtel-Dieu. Plus loin, une compagnie de
gardes françaises s’était installée sur le pontSaint-Michel mais les soldats ne les empêchèrent pas de traverser. Un bourgeois qui passait avec eux leur rapporta que trois
autres compagnies de Suisses et une compagnie de gardes françaises occupaient la place de Grève.
Si dans la ville et dans la Cité les maisons et les boutiques étaient closes et rembarrées dans un calme morne et sinistre,
dans l’Université, c’était l’émotion qui dominait. Passé le Petit pont et le Petit-Châtelet fermé par des sergents d’armes
et quelques Suisses, ils entendirent des rumeurs assourdies provenant du haut de la rue Saint-Jacques. Craignant une émeute,
ils prirent l’étroite rue Galande et filèrent vers la place Maubert qu’ils n’avaient pas explorée les jours précédents.
La place était noire de monde. C’était un rassemblement formidable comme Olivier n’en avait jamais vu. Des bandes d’écoliers
descendaient de Sainte-Geneviève avec des cris farouches auxquels répondait la plèbe de la place Maubert. On hurlait que Châtillon 1 et les huguenots étaient au faubourg Saint-Germain, qu’ils venaient venger l’amiral de Coligny. Des moines jeunes et vigoureux,
armés de piques, affluaient de partout, sortant des couvents avec des bannières de saints comme étendards.
Se frayant un passage entre les groupes armés, ils aperçurent une troupe de gentilshommes à cheval qui tentait de canaliser
la foule. Celui qui commandait (ils l’ignoraient mais c’était M. de Boisdauphin) donnait ordre qu’on tende les chaînes autour
de la place. Ils virent aussi des cabaretiers qui roulaient des futaies pour faire des barrages.
Gardant son capuchon enfoncé sur sa tête, Olivier recherchait malgré tout Clément. C’était une occasion inespérée, se disait-il. Un jour pareil, ce fou qui haïssait le roi ne pouvait rester sur sa paillasse à cuver son vin!
Ce fut Caudebec qui l’aperçut. Le jeune homme portait une salade datant de la guerre de Cent Ans, un corselet cabossé et brandissait
une pique et un coutelas en tenant des propos séditieux.
Ils s’approchaient de lui quand retentirent des tambours derrière eux.
Au pont Saint-Michel, les gardes françaises, qui avaient été rejoints par des Suisses, interdisaient désormais tout passage.
Impatients d’écraser ces bourgeois et ces clercs qui se moquaient d’eux, ils jetaient des bravades à la multitude rassemblée
autour de l’abreuvoir Mâcon 2 . Ces troupes étaient commandées par Louis de Crillon que nous avons vu ne pas répondre au salut du duc de Guise, quand celui-ci
était venu au Louvre.
Crillon avait quarante-sept ans et s’était distingué à Jarnac et au siège de La Rochelle. Chevalier de Malte, c’était un soldat
d’une loyauté inébranlable envers le roi et d’un rare courage. On le comparait au chevalier Bayard. Mais il avait un défaut :
il était emporté et sans frein dans ses propos. Il s’imagina effrayer le peuple en criant que le premier qui sortirait en
armes serait pendu, sa maison brûlée, sa femme et ses filles livrées aux soldats.
Apprenant que la place Maubert était occupée par les rebelles, il voulut faire un coup d’audace en marchant pour la dégager.
Fifres et tambours devant, ses troupes s’engagèrent en bon ordre dans la sombre et miséreuse rue Saint-Séverin, toute bordée
de petites maisons à pignon aux étages débordant les uns sur les autres. Arrivés au carrefour devant l’église, tandis que
la compagnie s’étirait le long de l’étroite rue, les premiers gardes françaises furent arrêtés par une barricade quand, soudain,
chaque maison se changea en forteresse. Des fenêtres et des étages en encorbellement partirent des pavés et des projectiles
de toutes sortes que les habitants avaient
Weitere Kostenlose Bücher