La ville qui n'aimait pas son roi
comme arme?
— Des dagues.
— J’ai mon épée et un pistolet. Même si ce ne sont que des bourgeois, on n’en viendra pas à bout… Continuons à les suivre, peut-être y aura-t-il une occasion favorable.
Devant la barricade, le peloton prit finalement à droite dans la rue de Jouy qui n’était pas barrée. Nicolas devina alors
où on conduisait les deux femmes.
— L’Ave-Maria, murmura-t-il.
— C’est là qu’ils vont?
— Je le pense, c’est là qu’on enferme les femmes de qualité. Je n’y suis jamais entré mais je sais que c’est une forteresse.
La rue de Jouy se terminait par une large poterne percée dans la muraille construite par Philippe Auguste. À cet endroit se
dressait la vieille tour de Montgomery, incorporée dans le couvent. L’unique porte de l’établissement religieux se situait
au coin de la rue de Jouy avec la ruedes Fauconniers, qu’on appelait aussi rue de l’Ave-Maria. Louchart fit tirer la cloche, la lourde porte cloutée s’ouvrit et
le groupe disparut.
Les trois hommes s’approchèrent et descendirent la rue des Fauconniers jusqu’au port Saint-Paul, longeant la façade orientale
de l’enclos conventuel. La seule ouverture était le porche de l’église de l’Ave-Maria. Près de la Seine se dressaient les
ruines couvertes de lierre de la porte Barbelle flanquée de la grosse tour Billi. Le port Saint-Paul n’était qu’une grève
avec des pontons de bois sur pilotis à moitié écroulés où une population miséreuse vivait dans des masures de planches dressées
sur des piliers.
Ils passèrent la porte Barbelle, puis remontèrent de l’autre côté par la rue des Jardins sans découvrir ni porte ni fenêtre.
De ce côté-là, ce n’était que la muraille de la vieille enceinte ponctuée de tours. Torturés par l’inquiétude, ils se demandaient
comment ils pourraient faire sortir les deux femmes de là 1 .
Revenus devant la tour de Montmorency, ils virent que quelques maisons appuyées contre le vieil hôtel du prévôt avaient un étage en encorbellement d’où ils pourraient surveiller l’entrée de l’Ave-Maria, mais comment convaincre un habitant de leur laisser son logis? Sans compter que ces gens étaient sans doute ligueurs et qu’ils seraient vite interrogés par le dizenier.
Ils remarquèrent alors, à l’angle de la rue Percée, une gargote fréquentée par les mariniers et les débardeurs de barques.
L’endroit s’appelait le Porc-Épic, allusion à l’ordre de chevalerie créé par le duc d’Orléans 2 dont l’ancien hôtelavait longtemps logé le prévôt de Paris. Ce cabaret du Porc-Épic possédait une échauguette, avançant sur la rue, sans doute
un reste de l’enceinte de l’hôtel d’Orléans. Poulain la montra à son ami.
— De là, nous aurions une vue parfaite sur la porte de l’Ave-Maria.
— Le cabaretier voudra-t-il nous la louer? Et sans prévenir le dizenier? Vous avez vu que ce n’est pas une hôtellerie, seul le prix du dîner est écrit sur la porte, remarqua Caudebec.
L’ordonnance de mars 1579 sur les prix des hôtelleries imposait d’inscrire sur la porte des auberges le prix du manger, du
boire et du coucher, or devant le Porc-Épic était noté en gros caractères :
Dîner du voyageur à pied : six sols .
Bien qu’il n’eût guère le cœur à chanter, Poulain lui répondit par ce refrain qu’on répétait dans les auberges :
Il n’y a pipeurs ,
Entre tous métiers ,
Ni plus grands trompeurs ,
Que sont les taverniers!
— Vous avez remarqué, ajouta-t-il, que le bouge est ouvert, alors que la plupart des auberges et des gargotes sont fermées aujourd’hui? poursuivit-il.
Olivier hocha la tête, devinant les pensées de son ami. Ils entrèrent, tandis que Caudebec restait à surveiller à l’extérieur.
La petite salle était déserte. L’aubergiste, un homme corpulent aux traits grossiers, remplissait un pichet à un tonneau.
Ils s’assirent à l’unique table et attendirent qu’il vînt les trouver. Quand il s’approcha, nos amis furent frappés par l’expression
de son visage : un mélange de haine et de désespoir.
— Deux pintes de vin, demanda Poulain avant d’ajouter : Il n’y a personne?
— Tout le monde est aux barricades! répliqua l’homme avec agressivité.
— Pas vous?
— Pas moi! répliqua le cabaretier en crachant sur le sol pavé de grosses pierres inégales couvertes de paille.
Celui-là n’est
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