La ville qui n'aimait pas son roi
bienséance.
— Sa Majesté me demande de faire un courrier à ma cousine, l’abbesse de l’Ave-Maria, pour qu’elle traite bien deux femmes emprisonnées chez elle et les autorise à recevoir leur famille.
— C’est cela, madame.
— Qui sont ces femmes?
— L’une est l’épouse d’un serviteur du roi, et l’autre une de ses amies. La Ligue ne tolère pas que le roi garde des fidèles.
Elle resta silencieuse un instant, se mordillant les lèvres d’hésitation. Son mari avait joué un rôle important à la cour de Charles IX, mais il était désormais plus à la reine mère qu’au roi. Malgré cela, elle ne pouvait refuser cette requête. En revanche, elle devinait que personne ne devait savoir ce qu’elle allait faire, car elle allait agir contre la Ligue, une organisation qui avait désormais tous les pouvoirs dans Paris. Quant à sa cousine l’abbesse, elle ne doutait pas qu’elle accepterait tant elle l’aimait. Ne l’avait-elle pas autorisée à construire son tombeau dans l’église?
Elle s’approcha d’un secrétaire, s’assit, tailla une plume et écrivit à vive allure, d’une belle calligraphie. Poulain resta
éloigné, ne cherchant pas à lire.
Ayant fini, elle jeta un peu de poudre sur l’encre, plia la lettre, fit chauffer de la cire au bougeoir et cacheta le pli
avec un gros cachet de cuivre.
— J’ai écrit exactement ce que me demandait le roi, monsieur. Je ne veux pas en savoir plus.
— Merci, madame.
— Vous n’êtes pas franciscain? s’enquit-elle.
— Non, madame. Vous m’avez percé à jour.
Il tenta un sourire, mais elle ne répondit pas à son appel.
— Se vêtir en prêtre est péché mortel puni de mort, aussi enlevez vos bottes et vos éperons quand vous rentrerez dans Paris, remarqua-t-elle. On les aperçoit sous votre robe.
Les bottes dans sa gibecière, il passa la porte sans qu’on ne lui demande rien. Les quelques ligueurs qui tenaient le passage
rançonnaient les passants mais ne demandaient rien aux moines.
Très vite, Nicolas fut frappé par le calme qui régnait et la tristesse qu’affichaient les habitants. Il avait quitté la veille
une ville enflammée, couverte de barricades avec des pelotons d’hommes armés et cuirassés à tous les coins de rue, or tout
cela avait disparu. Les barricades étaient démantelées, même s’il restait des barriques et des poutres abandonnées. Le silence
avait remplacé le fracas. Certes, les troupeaux d’animaux bêlant et beuglant étaient de retour, les chariots d’approvisionnement
circulaient à nouveau, les colporteurs lançaient leur complainte pour appeler le chaland, la boue et les odeurs étaient toujours
présentes, ainsi que la puanteur, mais la foule grouillante manquait. Les échoppes étaient ouvertes, mais personne n’attendait
devant les tablettes. Il n’y avait ni presse ni bousculade. Il ne vit aucun chanteur de rue, ni joueur de vielle ou marchand
d’orviétan. Même les mendiants et les coupe-bourses n’étaient plus là.
En revanche, il croisa de lugubres processions de moines portant croix ou reliques, ainsi que quelques prédicateursredoublant d’invectives contre le roi, mais que personne n’écoutait.
Il avait tellement faim, n’ayant rien mangé depuis son départ, qu’il s’arrêta devant un marchand de châtaigne grillée. Un
homme aussi sombre de peau que ses châtaignes.
— La ville a changé depuis hier, plaisanta Nicolas.
— Pour sûr! Je n’ai rien vendu ce matin. Croyez-vous que le roi va revenir?
— J’en doute!
L’homme grimaça son inquiétude.
— S’il ne revient pas, ce sera la ruine. On dit que tant et tant de gens l’ont rejoint. Paris ne peut pas vivre sans la cour.
— Bah, il y a Mgr de Guise!
— Ce n’est pas pareil! Et s’il s’en va, lui aussi? S’il retourne à Joinville? Que deviendrons-nous?
Poulain s’éloigna en décortiquant ses fruits, à la fois amer et réjoui en constatant combien la crainte de la misère avait refroidi le fanatisme. Déjà, beaucoup désiraient le retour du roi. Mais il doutait que les choses s’arrangent si vite. Paris devrait apprendre à vivre sans la cour et sans les officiers de la couronne. Il songea à la charge de lieutenant criminel qu’il briguait. Quelle chance avait-il désormais de l’obtenir? Puis il chassa cette idée : il devait uniquement s’occuper de sa femme et de ses enfants.
La rue de la Tonnellerie remontait vers les
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