La ville qui n'aimait pas son roi
restait toujours en compagnie des gentilshommes qui l’avaient accompagné depuis Paris. Pour eux, les Gascons de Navarre
n’étaient que des paysans, et ceux-là leur rendaient leur mépris en ne parlant qu’en béarnais en leur présence.
La seule personne à la cour de Nérac qui éveillait l’intérêt de M. de Soissons était Catherine de Navarre, la sœur du roi, et des rumeurs de mariage circulaient depuis quelques semaines. Seul Henri de Navarre ne disait mot à ce sujet. Était-ce cela qui le préoccupait tant? Pourtant il aurait pu se féliciter d’une union chez les Bourbon et du bonheur de sa sœur qui semblait apprécier le comte.
Un peu avant midi, les chasseurs se retrouvèrent à trois lieues de Nérac devant la grande cour du château d’Estillac où le
petit-fils de Montluc, bien que catholique, leur avait accordé l’hospitalité à condition qu’arquebuses et mousquets restent
hors du château. Les chiens n’avaient pas débusqué le sanglier et tous les chasseurs pestaient contre cette bête qui refusait
de se laisser tuer. Seul Olivier s’en moquait, secrètement admiratif du rusé animal.
Des serviteurs faisaient cuire des lièvres et des faisans sur des feux allumés devant le porche. Sans façon, Navarre s’était
installé dans la cour sur une grosse pierre et dévorait un cuissot de lapin, tachant sans vergogne son pourpoint et l’écharpe
blanche ceinte en travers de sa poitrine. Soudain, on entendit un galop et le cri de mise en garde d’une sentinelle installée
dans la tour d’angle. Il dut y avoir une réponse satisfaisante, car quelques instants plus tard un cavalier passa le porche.
Le comte de Soissons se leva aussitôt en saisissant son épieu. D’autres gentilshommes portèrent la main à leur épée, aucun
n’ayant de mousquet ou de pistolet.
— Laissez, mes amis! fit Navarre en mâchonnant, sans même se lever. Je le connais, c’est un messager de Nérac…
Le cavalier portait en effet deux lettres arrivées une heure plus tôt. Navarre les prit et examina longuement les sceaux.
Après quoi, il se leva et ouvrit la première en s’éloignant de ses amis et serviteurs.
Comme tout le monde, Olivier l’observait. Il n’était pas fréquent qu’on dérange ainsi le roi durant une chasse. Ce devait
être des nouvelles importantes. Tout en lisant, Navarre s’était mis à marcher nerveusement. Son attitude avait complètement
changé. Toute jovialité avait disparu de son visage. La lettre faisait deux feuillets. Quand il l’eut terminée, il reprit
le premier feuillet et en recommença la lecture. Par deux fois, il leva les yeux et eut un bref regard vers le comte de Soissons.
En même temps, il passait sa main dans son épaisse barbe, comme pour marquer sa perplexité ou son inquiétude. Enfin, il plia
la lettre et la glissa dans une poche de son pourpoint de laine qu’il referma soigneusement.
Il semblait contrarié. Ce ne pouvait être qu’une mauvaise nouvelle, jugea Olivier. Le roi ouvrit la seconde lettre.
Elle devait être courte, car il leva la tête aussitôt et se dirigea à grands pas vers le comte de Soissons.
— Je suis désolé, Charles, lui dit-il avec une tristesse infinie, en lui tendant le pli.
Comme le comte prenait la lettre avec un regard interrogatif, Henri annonça à ses compagnons d’une voix brisée :
— La chasse est terminée, mes amis. Nous rentrons. Il vient de se produire le plus extrême malheur qui pouvait arriver. Mon cousin… mon ami… mon frère presque… fit-il en retenant un sanglot. M. le prince de Condé vient de mourir.
Le roi de Navarre était blême et Olivier le vit essuyer une larme. Immédiatement, les questions fusèrent.
— Après avoir soupé le 5 au soir, il a été pris de vomissements violents, répondit Henri. Il est mort dans la nuit…
Il désigna la lettre que Soissons venait de terminer.
— C’est M. de Cumont, le lieutenant de Saint-Jean-d’Angély, qui m’a écrit. D’après lui, ce serait l’effet de ce malheureux coup de lance reçu à Coutras. Henri en soufrait toujours et avait parfois des étourdissements. La blessure devait être plus grave qu’on ne le pensait.
Il se rapprocha de Charles de Bourbon qui, impavide, paraissait peu chagriné par la mort de son demi-frère. Il le prit par
l’épaule.
— Ton frère Conti est désormais le chef de la maison de Condé, lui dit-il d’un ton étrangement froid.
— Pas tout à
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