La ville qui n'aimait pas son roi
partit satisfait. Avec cinquante mille écus, il pourrait acheter une belle terre et se retirer. En revanche, il était
ennuyeux de perdre la femme de Poulain, car quand la sainte union l’apprendrait, on l’accuserait de double jeu. Après y avoir
réfléchi, il décida qu’il annoncerait que les deux femmes s’étaient évadées durant un transfert au For-l’Évêque. Aussitôt,
il ferait arrêter les parents de Mme Poulain pour complicité, ainsi que ses deux enfants. Quant au jour où aurait lieu l’échange,
il engagerait une troupe de traîne-rapières pour se protéger.
Revenons trois semaines en arrière pour suivre maintenant le capitaine des gardes de M. de Villequier.
Lacroix prit une chambre à l’hôtellerie du Fer à Cheval pour surveiller le Drageoir Bleu. Tôt ou tard, jugeait-il, Nicolas
Poulain prendrait langue avec ses beaux-parents pour voir ses enfants.
Il se faisait porter ses repas dans sa chambre et resta toute la semaine à guetter patiemment. Le samedi après dîner, les
épiciers fermèrent leur boutique plus tôt que leurs voisins et partirent. Il les suivit jusqu’à l’Ave-Maria, les vit parlementer
un moment avec le concierge et entrer. Villequier lui avait dit que Mme Poulain était enfermée dans le couvent et que Mme de
Retz serait sollicitée pourécrire une lettre à l’abbesse. D’une façon ou d’une autre, Nicolas Poulain était parvenu à la donner à ses beaux-parents.
Tout en se demandant comment le lieutenant du prévôt avait fait, Lacroix attendit dans le porche de l’église de l’Ave-Maria.
Moins d’une heure plus tard, il les vit sortir en pleurs et se rendre dans le cabaret du Porc-Épic. Sans doute voulaient-ils
se réconforter après ce qu’ils avaient vu. Il resta éloigné et attendit longtemps. Enfin, il les vit repartir et rentrer chez
eux. À aucun moment Poulain, ou un autre, ne les avait approchés, ce qui lui parut incompréhensible.
Il reprit sa surveillance avec encore plus d’attention la semaine suivante. Tous les jours, il s’usa vainement les yeux en
examinant les clients du Drageoir Bleu. Dépité, il se demandait s’il n’allait pas plutôt faire le guet devant le couvent quand,
le samedi après-midi, il vit à nouveau les épiciers fermer leur boutique avant les autres et partir pour l’Ave-Maria. En sortant,
ils se rendirent une nouvelle fois au Porc-Épic.
Cette deuxième visite piqua sa curiosité. Qu’y avait-il au Porc-Épic? se demanda-t-il en examinant la façade du cabaret. Il comprit rapidement en observant la position de la tourelle par rapport au porche de l’Ave-Maria : Poulain était caché au Porc-Épic et surveillait le couvent depuis l’échauguette! Ses beaux-parents venaient certainement lui faire un compte rendu après avoir vu leur fille! Peut-être préparait-il une évasion! Il retourna au Fer à Cheval sans attendre, méditant sur ce qu’il devait maintenant préparer.
Il lui fallait avant tout savoir si Poulain était seul. Villequier lui avait rapporté qu’une Mme de Saint-Pol était aussi emprisonnée au couvent mais il ignorait de qui il s’agissait. Se pouvait-il que des proches de cette femme soient avec Poulain?
Comme le lieutenant du prévôt le connaissait, le capitaine des gardes ne pouvait entrer dans le cabaret. Il décidad’envoyer un des gardes de Villequier à qui il décrivit Poulain. Le garde vint le lundi après-midi et resta une grosse heure
à boire un pichet de vin sans repérer quelqu’un ressemblant à la description que son chef lui avait faite. C’était normal
puisqu’à ce moment Olivier et Nicolas Poulain surveillaient le Petit-Châtelet.
Son espion ne lui ayant rien appris, Lacroix revint le lendemain, avant le lever du soleil, pour s’installer sur une borne au coin de la rue du Figuier. De là, il apercevait à peine la porte du Porc-Épic mais on ne pouvait l’identifier. Le jour se leva et il vit deux hommes, l’un, petit, trapu, en sayon, l’autre de haute taille, en houppelande, sortir et se diriger vers lui. Il se leva avec nonchalance et descendit la rue du Figuier. Au bout d’un moment, il se retourna. Découvrant que les deux autres n’étaient pas derrière lui, il remonta la rue en courant et prit la rue de Jouy. Mais il ne les retrouva pas. Ils avaient disparu!
Il revint en arrière. Peut-être avaient-ils pris la rue des Nonandières vers la Seine? Il l’emprunta hâtivement. Enfin, il les aperçut
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