La ville qui n'aimait pas son roi
plusieurs jours.
C’est aussi à Mantes que Nicolas Poulain rencontra Michel de Montaigne. Au moment des barricades, l’ancien maire de Bordeaux
était à Paris, chez son imprimeur, pour corriger une nouvelle version des Essais . Montaigne était gentilhomme de la chambre, une charge qu’il exerçait peu, mais apprenant la fuite d’Henri III, il avait
estimé qu’il était de son devoir de rejoindre la cour et de se mettre à son service. Une bien rare loyauté.
En parlant de l’intolérance qui s’était installée dans la capitale, et des exécutions fréquentes d’hérétiques, ou accusés
de l’être, Montaigne informa Poulain qu’un de ses amis magistrat lui avait écrit au sujet d’un Angevin nommé Guitel qui avait
été pendu et réduit en cendres en place de Grève. Ainsi, songea Nicolas, les deux frères étaient désormais réunis dans la
mort, et au moins celui-là n’avait pas été brûlé tout vif comme on voulait le condamner.
Quelques jours plus tard, la reine mère vint à Mantes pour supplier son fils, avec beaucoup d’affection, de revenir en sa
bonne ville de Paris. L’entrevue étant publique, Nicolas y assista.
Comme le roi refusait, sa mère, désespérée, lui rappela qu’il était d’un naturel bon et qu’il avait toujours pardonné les
offenses.
— C’est vrai, madame, mais que voulez-vous que j’y fasse, c’est ce méchant d’Épernon qui m’a gâté et m’a tout changé mon bon naturel, plaisanta Henri III.
Malgré la tension qui régnait, cette réponse fit rire l’assistance, sauf Catherine de Médicis qui rentra à Paris éconduite.
Le château de Mantes n’étant guère confortable, la cour partit pour Chartres où une délégation de députés du parlement de
Paris vint à son tour supplier le roi de revenir dans sa bonne ville. Pour émouvoir Henri III, les députés se firent précéder
par un frère du duc de Joyeuse, entré en religion, qui portait une croix de carton, une couronne d’épines et s’était barbouillé
le visage de sang. Autour de lui, des capucins habillés d’un cilice le fouettaient en criant miséricorde. Bien qu’aimant les
processions, le roi fut cette fois indifférent à ce qu’il appela une mascarade.
Plus tard, il reçut les députés avec une grande majesté et reconnut qu’ils n’avaient trempé en rien dans l’affaire des barricades.
En revanche, il menaça de ne jamais revenir à Paris et d’en ôter les cours souveraines.
Cet avertissement alarma tellement le corps de ville qu’il envoya une nouvelle députation conduite par le prévôt des marchands.
Les députés apportaient tous des cadeaux pour témoigner de leur affection et, parmi eux, se trouvait le nouveau gouverneur
de la Bastille, Bussy Le Clerc.
La salle était pleine. Nicolas Poulain était près du trône avec M. de Richelieu et les quarante-cinq. Quant aux gentilshommes
de la chambre, dont M. de Montaigne, ils entouraient le roi de telle façon qu’aucun député n’aurait pu s’approcher à moins
de deux toises.
À tour de rôle, parlementaires et membres du corps de ville vinrent supplier Henri III de revenir. Ils remettaient alors leur
cadeau à un chambellan qui le portait au roi, lequel le recevait avec une grande bonhomie et un réel plaisir, s’extasiant
surtout sur les bijoux qu’il découvrait en ouvrant les coffrets.
Bussy Le Clerc avait aperçu Nicolas Poulain et lui avait jeté un regard malveillant auquel le prévôt n’avait pas répondu.
En revanche Poulain avait remarqué, avec un mélange de surprise et d’inquiétude, que Le Clerc portait épée comme un gentilhomme.
Il est vrai qu’il se disait noble, mais il n’aurait jamais été reçu ainsi à la cour à Paris. Seulement les ligueurs, maîtres
des principales charges de la ville et Messieurs de la Ville , comme ils se nommaient, s’étaient anoblis eux-mêmes!
La cérémonie s’éternisait. Les discours succédant aux supplications auxquelles le roi répondait par des remerciements, mais
sans promettre de revenir à Paris. Enfin s’avança le dernier parlementaire qui tenait un coffret de bois finement ciselé.
L’attention de Poulain s’était relâchée. Il ne s’était rien passé d’inquiétant comme il le craignait.
Le roi paraissait impatient de savoir ce qui se trouvait dans cette boîte d’assez belle taille. Il glissa un mot à M. de Villequier,
assis à côté de lui, pour qu’il aille
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