La ville qui n'aimait pas son roi
su que nous ferions ce cadeau. Il était un peu grand mais il a insisté.
— La Chapelle et Bussy voyageaient avec vous?
— Oui, nous étions dans la même auberge avant-hier.
Poulain posa son regard sur Richelieu qui hocha la tête. Toute autre explication était inutile. La Chapelle avait fait faire
deux coffrets, et d’une façon ou d’une autre les avait échangés.
— Monsieur Bonneval, M. de Richelieu va prendre votre déposition écrite devant un notaire, décida le roi. Ensuite vous rentrerez à Paris et ne parlerez jamais de cette affaire. Si on vous interroge, vous direz que M. de Richelieu a pris le coffret et que vous ne savez pas ce qu’il est devenu.
Il se tourna vers Poulain avant d’ajouter :
— Monsieur Poulain, mes dettes s’accroissent envers vous.
Le lendemain de cet attentat, le marquis d’O invita Nicolas Poulain à dîner chez lui en s’excusant de ne pas l’avoir fait
plus tôt, mais il était trop mal logé et venait à peine de trouver un hôtel lui permettant de tenir son rang.
Les deux hommes dînèrent seuls, Dimitri assurant le service.
Ce fut un repas lugubre. L’attentat avait ravivé les craintes du marquis qui interrogea longuement Poulain sur ce qu’il savait
de Bussy Le Clerc.
— C’est un homme redoutable, conclut Poulain, après avoir raconté quelques anecdotes sur le procureur. C’est lui qui a organisé ce qu’ils appellent l’heureuse journéede Saint-Séverin. Sa hardiesse n’a d’égale que sa cupidité, mais vous avez pu constater combien il est habile.
— En effet, quel coup de génie de mettre en avant ce pauvre Bonneval. Recommencera-t-il selon vous?
— Certainement, ou ses amis prédicateurs. Boucher par exemple, sans oublier Mme de Montpensier… Il faut empêcher quiconque d’approcher le roi désormais.
— Sans doute! Mais cette entreprise démontre aussi l’incapacité des quarante-cinq du duc d’Épernon à protéger Sa Majesté. Épernon est un homme sans finesse. Pour lui, tout peut se régler avec une épée et il pense qu’il suffit de placer une barrière de Gascons autour du roi pour le protéger. Il ne lui vient pas à l’idée que nous devons comprendre nos adversaires pour mieux les déjouer. Malheureusement, nous n’avons plus d’espion chez eux. Je n’ose imaginer le désordre qui régnerait à cette heure dans le royaume si le roi avait ouvert cette funeste boîte! Le roi est si affable! Que demain se présente quelqu’un en qui il a confiance, et il le recevra dans sa chambre. Si celui-là a de mauvaises intentions, il n’aura aucun mal à lui enfoncer un couteau dans le ventre!
Quelques mois plus tard, Nicolas Poulain devait se souvenir de cette terrible prémonition. Il approuva gravement de la tête
en faisant part à son tour de ses craintes.
— Les États généraux ouvrent dans un mois. C’est à Blois que Sa Majesté sera le plus vulnérable. Il faudra renforcer la garde partout, payer des espions ou acheter nos ennemis.
— Certes, mais avec quel argent? Les caisses sont vides et le roi ne peut même plus payer ses Suisses. Ce mois-ci, j’ai avancé les gages de ses officiers sur ma cassette.
— Il y aurait peut-être une solution… suggéra Poulain.
— Laquelle?
— Le duc de Guise attend un convoi d’or…
— Expliquez-vous!
— Je vais vous faire une proposition, monsieur le marquis. Vous pouvez la refuser, mais dans ce cas je souhaite être assuré de votre silence…
O posa ses yeux sur Poulain et comprit qu’il s’agissait d’une entreprise particulièrement secrète.
— Voulez-vous ma parole?
— C’est inutile, je sais que je peux vous faire confiance. Voici les faits…
Nicolas raconta tout ce qu’il savait sur les trois versements de l’Espagne au duc.
— Le prochain serait donc en novembre?
— Oui, monsieur. Avec mon ami Olivier, nous souhaitons réunir une douzaine de braves pour prendre cet or. Chacun recevra une part et le reste sera partagé entre le roi de Navarre et le roi de France.
— Vous avez déjà trouvé vos compagnons?
— Quelques-uns. J’avoue avoir pensé à vous et à Dimitri.
— La dernière entreprise que vous m’avez proposée, monsieur Poulain, m’a laissé du fiel dans la bouche.
— À moi aussi, monsieur. Mais tout est différent désormais…
— Croyez-vous? Navarre est un renard, et comme tous les renards, c’est un voleur de poules. Si nous prenons cet or, il nous le
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