La ville qui n'aimait pas son roi
son cœur, il ajouta :
— Va-t-en te coucher, cousin, voilà le pourpoint d’innocence.
À contrecœur, Guise avait en effet décidé d’agir. Depuis le début des États, sur les conseils de l’archevêque de Lyon, il
distribuait faveurs et généreux cadeaux à ceux qu’il voulait s’attacher, y compris aux proches d’Henri III. Mais l’argent
lui manquait pour continuer cette politique et le vol de ses trois cent mille écus l’empêchait de tenir bien des promesses.
Comme on ne cessait de lui répéter que le roi était imprévisible, et bien qu’il détestât prendre des risques, il avait enfin
accepté une proposition de son frère le cardinal.
Celui-ci suggérait d’enlever Henri III quand il se rendrait dans sa maison de Blois, au sein de la forêt, pour y faire la
retraite à Noël. Sa garde étant désormais réduite à la portion congrue, l’opération serait aisée à mettre en œuvre. C’était
somme toute l’entreprise que voulait réaliser sa sœur Catherine avec le capitaine Cabasset.
Le duc n’avait donc plus qu’à patienter quelques jours et pour contrarier les mauvaises intentions d’Henri III enverslui, il avait renforcé la garde aux portes du château et se faisait porter chaque soir toutes les clefs. Ainsi, le roi, qui
n’avait plus beaucoup de serviteurs fidèles, ne pourrait même pas faire entrer de mercenaires.
Plusieurs fois par jour, Nicolas Poulain, accompagné de ses Suisses, faisait des rondes autour du logis royal tant il craignait
qu’un assassin de Guise parvienne à s’introduire dans un appartement. Dans ces patrouilles, Nicolas vérifiait que les portes
étaient fermées et que les archers ou les gentilshommes de garde étaient à leur poste.
Deux endroits nécessitaient une particulière vigilance. L’escalier de la cour, dont Montigny et ses hommes assuraient la surveillance,
et l’escalier accolé à la tour du Moulin 1 , qui distribuait plusieurs passages vers les appartements royaux.
Cette tour du Moulin, qu’on appelait aussi la tour aux oubliettes, car elle possédait de grandes salles souterraines, datait
du château féodal. À partir de là, on pouvait passer aux corps de logis surplombant le porche aux Bretons ou rejoindre la galerie des Cerfs. Cette galerie, passage principal vers les jardins et les écuries, était donc gardée à
la fois par les Suisses d’Henri III et par les gens du duc de Guise.
Dans la matinée du 18 décembre, alors que se préparait une fête en l’honneur du mariage de Christine de Lorraine avec le grand-duc
de Toscane, Nicolas Poulain se dirigeait vers la galerie des Cerfs quand il aperçut Serafina et Chiara. Les deux comédiennes
paraissaient l’attendre. Abandonnant un instant ses Suisses, il s’approcha des deux femmes comme pour leur conter fleurette.
— Monsieur Poulain, lui glissa rapidement Serafina, Lorenzino nous a envoyées. Il sait que vous passez par là tous les matins. Il a besoin de vous rencontrer de touteurgence et vous attend aux écuries, au bout de la galerie des Cerfs, à nones. Venez seul.
— Pourquoi seul?
— Lorenzino risque sa vie dans cette rencontre. C’est lui qui vous abordera.
Elle paraissait morte de peur et Nicolas, bien qu’intrigué, ne demanda pas ce que voulait Il Magnifichino car il savait que Serafina ignorait presque tout de la vie d’espion de son amant. Il se doutait seulement que Venetianelli
avait appris quelque chose d’important, et que ce luxe de précaution s’expliquait par la crainte d’être découvert, ce qui
aurait immanquablement entraîné l’exécution de toute la Compagnia Comica .
— J’y serai, dit-il simplement.
Laissant ses Suisses poursuivre leur patrouille sans lui, il se rendit chez Richelieu qui logeait de l’autre côté de la cour.
— Ce pourrait bien être un piège, remarqua le Grand prévôt. Tant de gens ici veulent vous voir mort que Venetianelli pourrait bien avoir cédé à l’appât du gain.
— Cela se pourrait avec un autre, mais pas avec lui, répliqua Nicolas Poulain en secouant la tête. J’ai confiance en Venetianelli, et j’exclus la cupidité : vous semblez oublier qu’il vient de gagner dix mille écus.
— Je vous l’accorde. Prenez tout de même vos précautions, car si vous avez confiance en Venetianelli, rien ne dit que ces comédiennes méritent les mêmes égards. Je resterai dans la galerie avec des Suisses. Emportez un ou deux pistolets à
Weitere Kostenlose Bücher